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XII
COURIER ET BÉRANGER
Les écrivains de gauche.
En dix ans, de 1772 à 1783, naissent Courier, Béranger et Stendhal. C’est à eux, à leur œuvre, à leur fortune littéraire qu’il faudrait penser quand on recherche les racines de ce mot de Barrès : « La France est radicale ». Un homme politique radical a lancé, en 1924, le mot de Français moyen. Avec eux une vieille vigne française donne à la fin du XVIIIe siècle le fruit que la révolution va mûrir, un type « Français moyen » du XIXe siècle, qui a pour adversaires le roi, les prêtres et les nobles, qui enregistre et assimile la Révolution, qui se taille son indépendance dans un morceau de bien national, que les régimes politiques devront connaître, tourner, utiliser, servir, qui arrivera au pouvoir avec la troisième République.

Il y a une grande littérature de la Contre-Révolution. Il y a une misérable littérature de la Révolution officielle et déclamatoire. Mais il y a par Courier, Béranger, Stendhal, une littérature vraie de la Révolution réelle. Entendons le mot au sens juridique : de la révolution dans les choses, dans les biens, de la révolution en profondeur, de la Révolution apprise et vécue à vingt ans par le jeune Courier dans les libres propos de militaires, par le petit Béranger dans la campagne picarde ou la rue Montorgueil, par Henri Beyle, enfant de gauche, dans sa bataille quotidienne de la rue des Vieux-Jésuites contre ceux qu’il appelle ses ennemis naturels : ses parents et ses maîtres. En 1816 Molé, essayant, de proposer une liste commune libérale, en Seine-et-Oise, aux gros cultivateurs qui ont acheté des biens nationaux et qui sont élec-