Hôte de Ferney, admirateur du maître, Voltaire l’avait désigné pour son disciple, avait donné l’investiture à ses jugements. Mais, auteur dramatique sifflé, rédacteur du Mercure, la prestance et l’autorité avaient fait défaut à ce nain très instruit, intelligent, jaloux, pugnace, péremptoire et coléreux, dont la figure, selon Piron, appelait les soufflets, et qui, disait un de ses confrères, arrivait toujours à l’Académie l’oreille déchirée. Cependant, en 1786, au coin de la rue Saint-Honoré et de la rue de Valois, avait été fondé le premier institut de conférences mondaines. Elles eurent bientôt autant de succès chez les dames que les prédicateurs de Louis XIV en avaient eu chez leurs grand’mères. La Harpe y commença un cours général de littérature grecque, latine et surtout française qui dura, (avec une interruption de trois ans à la fin de la Révolution) de 1786 à 1798. En ces neuf ans, La Harpe a fondé l’histoire de la littérature française, telle qu’elle allait être pratiquée pendant tout le XIXe siècle.
Pour la première fois elle fut l’objet d’un récit suivi et vivant, où les œuvres viennent s’encadrer, où elles sont analysées, jugées, moins d’après un code de règles préexistantes que d’après l’expérience littéraire des honnêtes gens. Comme, dans une telle histoire, il s’agit surtout d’œuvres qui sont restées, la critique des beautés (pour employer une expression de Chateaubriand qui appliquera ce principe dans le Génie) tient plus de place que la critique des défauts. Othenin d’Haussonville a appelé Sainte-Beuve notre Thomas d’Aquin. Mais vraiment c’est le Lycée qui, pendant un demi--