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tifices, tout ce métier d’écrire qu’il a découvert à quarante ans, l’amuse. Mais le prend-il toujours au sérieux ? Elevé par les Jésuites italiens, ne donne-t-il pas carrière en lui au virtuose ou au ténor de la théocratie ? Le sérieux vrai de sa vie c’était pour lui le devoir, la conscience, le service de son roi, les soins et les affections de sa famille, lesquels, heureusement, marquent leur présence dans son œuvre par une abondante correspondance politique et domestique, intelligente, nuancée, spirituelle, qui ne contredit pas son œuvre dogmatique, mais la met au point en la classant (et peut-être aussi en la déclassant) parmi les valeurs de la vie.

Sans cette Correspondance manquerait dans la littérature française le témoin d’un genre de vie qui eût mérité d’en laisser d’autre : un gentilhomme de situation à la fois locale et européenne, dont rien cependant ne passe par Paris. De Maistre ne connut Paris que par un séjour de quelques semaines en 1817, à son retour de Russie (il avait soixante cinq ans) et il y fit figure d’oncle de province. Il a pensé non seulement hors de Paris, mais contre Paris. Ainsi par lui, par ses ennemis calvinistes de Genève et de Vaud, existe, dans la première moitié du XIXe siècle un précieux coin autonome et anti-parisien de littérature française.