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quente de la purification, qu’il reprendra en termes plus éclatants encore dans les Soirées de Saint-Pétersbourg.

Mais Joseph de Maistre, bien que fidèle serviteur de son roi, n’est nullement gallophobe. Bien au contraire, le Savoyard tient la France pour la première nation du monde, la nation chef. La Révolution Française, cet événement universel sans commune mesure avec la Révolution insulaire des Anglais, la frappe d’autant plus fort qu’elle était appelée, choisie de Dieu, pour une mission plus grande. Fille aînée de l’Église, elle a trahi sa mère par des péchés publics. Entre les péchés publics et politiques de la France, de Maistre dénonce les ultramontains et les disciples des jésuites, le gallicanisme et le jansénisme. Le livre du Pape, publié en 1819, son supplément sur l’Église Gallicane, sont déjà contenus en principe dans les Considérations, de même que le principal des Soirées. Cette fulguration d’idées qui fait un des grands charmes de la lecture de Joseph de Maistre, part de quelques principes simples, de la présence et de l’action de Dieu, et d’une théorie du démon, c’est-à-dire du mal, et singulièrement de l’orgueil, tel que l’incarne la philosophie.

Il faut se garder de considérer le comte savoyard comme un écrivain aussi excentrique à la France que l’était le duché alpin gouverné par Turin. Joseph de Maistre est le grand élève des Jésuites. Par lui, et par lui seul, la doctrine de ceux qui ont exercé une si grande influence sur la jeunesse française est entrée dans la grande littérature française, a pris une expression littéraire originale, authentique. Professée avec sa fantaisie et presque sa poésie personnelle, par un laïque qui n’engageait que lui, sa pointe de paradoxe permet — tour d’ailleurs toujours excellent en sociétés — de désavouer le caustique gentilhomme comme un extrême et un ultra. Toutes proportions gardées, de Maistre serait presque à la compagnie militante de Jésus ce que Pascal (qui n’est pas de Port-Royal) est à Port-Royal. Les laïques sans mandat, intermédiaires libres, délégués à la littérature, dans les rapports entre l’Église et le grand public, font fonction non de polémistes (les clercs font eux-mêmes leur polémique, Arnauld, Daniel ou Barruel) mais de journalistes des grands partis religieux. Les qualités de Joseph de Maistre sont précisément celles