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directement par Dieu, qui a pour organe le pouvoir. Sa doctrine célèbre du langage don direct de Dieu est d’une belle audace rectiligne. Peu d’opuscules sont plus remplis de vues que sa comparaison de la famille agricole et de la famille industrielle.

Il a beaucoup écrit. Il est fort de bâtisse, mais son style de gentilhomme campagnard (bien qu’il vécût le plus souvent à Paris) manque d’attraits. Cependant il coule admirablement la maxime, la phrase frappée et frappante, qui reste, circule, se cite. On lit peu M. de Bonald, mais on écrit beaucoup : « Comme dit M. de Bonald ».

Cet homme d’autorité est une autorité. C’est lui, en somme, bien plus que Joseph de Maistre, qui a donné une philosophie à ce complexe politique et social français, si tenace, qu’on appelle la réaction. La nouvelle école réactionnaire, qui, dans le second tiers du XIXe siècle, est née de Le Play et Taine, a révéré Bonald comme un de ses pères, Bourget et Maurras l’ont beaucoup cité. C’est, pour leurs disciples, une lecture un peu rude, du pain d’Auvergne, savoureux et sain. On trouverait d’ailleurs l’exagération, la caricature de Bonald dans un curieux gentilhomme auvergnat, son contemporain, qui eut un grain de folie, mais aussi son pittoresque d’écrivain, son heure de célébrité, M. de Montlosier.

Joseph de Maistre.
Cependant le couple Bonald-de Maistre est bien plus considérable et plus instructif que le couple Bonald-Montlosier. Ce sont deux dialectes de la réaction, deux catholiques, deux émigrés, dont la différence, et même l’opposition, sont commandées par celles de leur pays et de leur destinée.

Joseph de Maistre n’est pas plus un Français que Rousseau. Comme Rousseau le citoyen de Genève, il est le sujet fidèle et le magistrat du roi de Sardaigne. Jusqu’à l’âge de quarante ans, il ne songe nullement à publier : heureux de ses fonctions au Sénat de Savoie, de sa vie de famille, de lectures, de conversations, car c’est un admirable causeur. Comme Bonald, la Révolution française, en le déracinant, en mettant du tragique dans sa vie, dans ses idées, dans la société, l’oblige à s’interroger, à penser, à écrire.

Bien mieux que Bonald, il est un écrivain de race. Il écrit