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Fontanes, tandis qu’on s’amuse de Delille, lequel n’est pas, lui non plus, ennuyeux ; mais l’un est intelligent, l’autre ne l’est pas. Malheureusement ce poète n’a pas reçu le grain de poésie qui appartint aux prosateurs Rivarol et Joubert. Il fait de bons vers, mais être poète pour lui, c’est faire des vers. À Montaigne, qui demandait des gens : « Comment est-il mort ? » il faudrait donner de mauvaises nouvelles de Fontanes. Car il est mort en refusant audience aux Méditations, sous ce prétexte admirable, qui est le testament d’une époque, et que nous avons entendu répéter par Mendès après Victor Hugo, par Leconte de Lisle après lui-même : « Tous les vers sont faits ». L’œuvre la plus importante de Fontanes, c’est son influence sur l’œuvre de Chateaubriand, qui était très docile aux conseils, et qui ouvrit à ceux de son ami un crédit illimité. Malheureusement ce Chateaubriand-Fontanes est le Chateaubriand des trois quarts du Génie et des Martyrs, celui que nous ne lisons plus. Quand Anatole France est mort, on s’est accordé à faire de lui cet éloge : « Il a maintenu ! » Fontanes qui avait reçu les consignes de La Harpe, a maintenu, et il a aidé, presque obligé le Vicomte à maintenir. Mais nous le pensons aujourd’hui avec plus de froideur que ne le pensait Sainte-Beuve.

De ces quatres attiques contemporains, Rivarol est l’esprit de la poésie, Joubert en est l’âme, la Psyché, Fontanes la matérialité, mais André Chénier le dernier-né et le premier mort, en est le génie.

André Chénier.
Comme Rivarol et Joubert c’est un posthume ; des liasses de papiers qui ne s’imprimeront qu’au cours de la génération suivante, et plus tard encore. L’interrègne révolutionnaire de la littérature est ici patent, saisissant, comme un décrochement sur une carte géologique. Il n’émigra pas — malheureusement. Mais, du point de vue littéraire, on peut dire qu’il a son émigration derrière lui. Fils d’une mère grecque, il naît à Constantinople, voyage en Italie, reste trois ans à Londres. Il lit dans leur texte les poètes anglais et italiens. Mais surtout son contact avec la poésie grecque est probablement le plus intime qu’ait connu un homme moderne. Il est, bien mieux que Ronsard, notre grand poète philologue. Homère et les