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IDÉOLOGUES, ATTIQUES ET CHRÉTIENS
Les Gelées de Mai.
Les temps nouveaux commencent avec les Vingt ans en 1789, mais non la littérature de 1789, et du XIXe siècle. Il faut en effet incorporer à cette littérature la plupart des représentants de la dernière génération qui ont environ trente-cinq ans, et qui tiendront une place considérable dans la liaison, le dialogue, le débat entre les deux siècles. Qui aura vécu sa jeunesse sous Louis XVI, sa maturité sous la Révolution et l’Empire, sa vieillesse sous la Restauration, tiendra dans sa mémoire un des morceaux de durée les plus variés et les plus puissants que l’histoire ait permis.

Cette demi-génération qui est née entre 1753 et 1762 est marquée par le XVIIIe siècle, mais portée par un mouvement très vif vers les confins, les extrêmes. Elle tient Voltaire et Rousseau pour de grands génies ; mais plus ou moins moyens et communs, hors desquels et contre lesquels il faut chercher, raffiner, saisir quelque chose de pur, de nu, d’absolu. Il s’agirait presque, ici, d’un romantisme de la qualité, le contraire absolument de ce pré-romantisme populaire, fait d’enthousiasme, d’incontinence et de débordement, qui se répandra avec la Révolution. Cette génération, ou cette demi-génération, de la qualité, sera plus ou moins blessée, rejetée, déviée par la Révolution. En tout cas elle n’a pu produire ses fruits qu’à travers des orages qui en ont détruit une partie, ont marqué le reste, ont donné au meilleur de ce reste une figure singulière de paradoxe, d’inactualité et de perfection. On reconnaît, dans des directions très opposées,