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VIII
LE GROUPE DE COPPET

Les livres de Mme de Staël n’entrent plus dans la familiarité de personne. Mais elle reste une ligne monumentale. Sur son piédestal elle domine un entourage, un groupe. Elle ne se comprend pas sans cette société des esprits qui commence dans son salon, se prolonge dans le temps et dans l’espace autour de Coppet, crée sur le Léman un des climats intellectuels du monde. Si le puritanisme de la Vieille-Genève n’avait pas infligé à la fille de Necker une longue quarantaine, on imaginerait, sur la rive du lac, le monument un peu déclamatoire d’une femme emphatique et puissante, le front ceint de son turban, comme à la place de la Concorde une statue de Pradier, sous sa couronne de tours, et parmi les eaux jaillissantes qui se rafraîchiraient de dialogue et de vie, quatre figures qui, à des titres divers, représentent dans les lettres la compagnie (on l’entendrait presque aussi au sens militaire) de Mme de Staël : Constant, Sismondi, Bonstetten et Barante.

Benjamin Constant.
L’un d’eux, à la gauche de la forte Germaine, a droit, au seul prénom. C’est Benjamin. S’il ne fallait pas garder tout de même à une littérature le caractère d’un ordre, respecter des situations justement acquises, refuser de la livrer sans cadres à l’anarchie des goûts, on ferait à Benjamin Constant une place plus considérable qu’à son illustre amie. Il reste plus proche de nous, il est bien meilleur écrivain, et, surtout, plus qu’aucun auteur de son temps, plus peut-être que Chateaubriand, il est lu : il a écrit, comme Mme de La Fayette et l’abbé Prévost, le petit livre