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minée et déterminante, la suite de Nisard inspirée par une idée très décidée de la liberté humaine.

Dogmatisme, choix, esprit de gouvernement, ces tendances se sont, après Nisard et aussi après Brunetière, singulièrement affaiblies. S’il fallait donner un nom à la figure sous laquelle apparaît le plus naturellement et le plus ordinairement aujourd’hui l’ordre de la littérature française, nous emprunterions le titre de la dernière des divisions du Discours sur l’Histoire Universelle : les Empires. La littérature française apparaît comme une succession d’empires dont chacun est renversé par une guerre littéraire ou une révolution, et auquel un autre empire succède. Les quatre empires des Assyriens, des Perses, des Macédoniens et des Romains, on les verrait dans les quatre grands climats successifs du moyen âge chrétien, de l’humanisme, du classicisme et du romantisme, ces deux derniers, les Empires civilisateurs, continuant encore, dans un parallélisme qui rappelle les Grecs et les Romains de Plutarque, à former deux langues de l’esprit et des lettres, rivales et complémentaires. Les histoires de la littérature depuis trente ans, individuelles comme celle de Lanson, et surtout collectives, tendraient volontiers au syncrétisme que nous présentons ici cum grano salis. Dans les histoires collectives qui paraissent une nécessité d’aujourd’hui, laïques comme celle de l’atelier Bédier-Hazard, catholiques comme celle de l’atelier Calvet, chacun de ces empires est conduit par ses spécialistes à faire sa partie singulière : médiévistes pour le moyen âge, seizièmistes pour le XVIe siècle, ce sont là des noms courants, auxquels certains ajouteraient volontiers celui de dix-septièmiste, en attendant celui de vingtièmiste, les liaisons dans la durée et dans l’espace étant faites par les comparatistes. Les histoires collectives ont placé la littérature française sous l’influence, ou, comme on dit, sous le signe de ces ateliers faits d’abord pour l’érudition. Ils répondent cependant à cette idée générale que nous avons exprimée sous les termes d’empires ou de climats. On peut distinguer dans l’ensemble des lettres françaises quatre grandes natures littéraires, seizième, dix-septième, dix-huitième, dix-neuvième siècles, entre lesquels il y a eu des révolutions du goût dans la durée, et dont chacune naît bien par une sorte de rupture et de commencement absolu. À l’ordre par époques d’un développement et à l’ordre par suite d’une