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une part de la jeune poésie qui reste fidèle au vers régulier est plus ou moins touchée du rayon valérien. Il est alors arrivé ceci de paradoxal que de Valéry (comme d’Anatole France, mon Dieu !) on peut dire qu’il a servi à maintenir. Il a maintenu, à une époque où ils vacillaient, les cadres techniques, rigoureux de la poésie française. Il a refusé, comme disait Mallarmé, de toucher au vers. Il a donné une bonne conscience à ceux qui le défendaient encore.

On remarquera que les symbolistes proprement dits, ceux qui avaient vingt ans en 1885, les Laforgue, les Regnier, les Viélé, ont eu peu d’influence sur leurs successeurs de 1914, et que tout se passe comme si, dans la mesure où la génération de 1914 eut des maîtres, ces maîtres étaient les Cinq de 1870, Verlaine dans une certaine mesure, Mallarmé par Valéry d’une part, par les tenants du Coup de Dés d’autre part, un peu Corbière par son imagerie populaire et maritime, Lautréamont par le surréalisme — enfin la fortune extraordinaire de Rimbaud.

Claudel.
Rimbaud pris comme figure de proue d’une nef poétique figurait plus ou moins à l’origine de Tête d’Or, le premier drame de Claudel. Or Claudel fut le second des poètes territoriaux de 1914. On ne peut pas dire qu’il était ignoré avant cette époque. Bien au contraire, la correspondance entre Rivière et Claudel servirait presque d’échantillon pour nous faire connaître quel prestige le poète de l’Otage, de l’Annonce, des Cinq grandes Odes avait acquis aux yeux d’une partie de la jeunesse silencieuse. Mais d’abord la guerre le plaça automatiquement parmi les quatre remplaçants. Ensuite le moment vint où il eut non seulement une clientèle spirituelle, mais des disciples poétiques.

Le verset claudélien était en effet une grande trouvaille, non seulement originale, non seulement très féconde entre les mains de Claudel, mais parfaitement viable pour fournir à certains un bon instrument poétique. Par un retour analogue à celui qui a fait de Valéry un « mainteneur » ce verset claudélien s’est trouvé à point entre les mains des jeunes revenants de la guerre. Montherlant et Drieu la Rochelle, qui furent quelque temps les deux Ajax du Nostos, l’ont également employé pour poser poétiquement leurs interrogations et leurs