Maurois et Mauriac ont, le premier avec une vocation plus générale de littérateur, le second avec une vocation plus particulière de romancier, écrit, pour leur temps, le roman de la grosse bourgeoisie, intermédiaire entre la grande et la petite, et assez provinciale pour appartenir au climat ordinaire du roman : ils ont été, dans cet ordre et par ce public, les romanciers de classe (aux deux sens du mot) les plus lus de ce temps.
L’éducation fait en France de la jeunesse bourgeoise ce que Waldeck-Rousseau appelait les deux jeunesses : laïque et catholique. Maurois, israélite, élève d’Alain, d’esprit analytique, est un laïc pur, et Mauriac est un romancier catholique, le romancier des problèmes chrétiens de l’âme. Il l’est à un degré d’angoisse et de profondeur qui ne se compare pas à la position des romanciers littérairement en règle avec l’Église, et dont le roman porte moins sur sa mystique que sur sa politique et sa morale : Feuillet, Bourget, Bordeaux. S’il reste à l’heure passagère où j’écris ces lignes, le romancier français le plus célèbre, il faut en voir une des raisons dans ce décri littéraire et intellectuel de la laïcité, qui a suivi étrangement son triomphe politique et la séparation de l’Église et de l’État. Ajoutons-y la réaction contre l’oratoire, qui s’est fait sentir dans le roman comme ailleurs : Mauriac est pressant, ému, il refuse l’éloquence et la grande courbe. Sa place, son succès, son influence, montés brusquement en 1924, entrent exactement dans les filières, les voies, les raisons de ce temps.