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Giraudoux et Morand, et nous n’aurons garde de le laisser tomber.

Barrès jouait alors un rôle comme patron littéraire des combattants. Il offrait à la génération nouvelle un type sinon à remplacer, du moins à continuer, celui du personnage représentatif, original, attrayant, qui s’est imposé comme délégué à la sensibilité d’une époque, et qui, doué pour raconter, pour toucher le public par ses récits, reste sous des figures diverses le principal personnage de ses romans. Montherlant fut préoccupé de cette destinée. Il appela son Philippe ou son Sturel Alban de Bricoule, celui du Songe et des Bestiaires. Il donna avec une âpre éloquence l’image impérialiste d’un jeune Français. Barrès venait de l’égotisme, Montherlant y alla.

Avec plus ou moins de succès, Montherlant est un bâtisseur. Dans le Songe et les Bestiaires, il a essayé de se construire, de réaliser un être qui résiste à l’écoulement et à l’écroulement, et pour qui le problème, tout de même un peu court, plus court que les problèmes barrésiens, est de concilier des exigences sensuelles avec ce dessein. Il s’est montré romancier quand il a peint dans les Célibataires la nature contraire, celle qui ne résiste pas à la destruction. Drieu, peut-être plus abondamment doué que Montherlant, et plus capable que lui de s’intéresser aux idées, a pris au contraire dans la jeunesse d’après guerre, le parti et la pente de la réalité qui se dissout. Il a incarné dangereusement la jeunesse qui était au premier plan en 1924. Les titres autobiographiques de ses romans, l’Homme couvert de Femmes, le Feu Follet, la Valise vide, sont caractéristiques et le dernier a presque servi de symbole ou d’enseigne à toute une équipe.

Une équipe, ou plutôt un tourbillon de mouvements, de sensibilités en liberté, comme on parlait ailleurs de mots en liberté, ce qui s’échappe par le Thomas l’Imposteur de Cocteau, ou le Bon Apôtre de Soupault.

Le Roman
de la Jeune Bourgeoisie
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Ce sont là des jeunes sur lesquels la guerre a passé, réellement ou métaphoriquement. On trouvera bien entendu plus de résistance chez ceux qui ont passé à travers la guerre, et qui eurent leurs trente ans dès sa seconde année.