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un mot de Barrès, on ait fait de la moins bonne rhétorique et de la meilleure philosophie. C’est le cas particulièrement chez les jeunes Juifs de Condorcet. On ne peut guère dire que Proust ait été philosophe. Mais quand on compare sa psychologie à celle de Bourget, et qu’on passe par conséquent d’un monde dans un autre, on est frappé de voir d’abord comme celle de l’auteur du Disciple est une psychologie de grand rhétoricien, ensuite comme Proust a incorporé au roman tout un domaine, et même un style, qui n’appartenaient jusqu’alors qu’aux philosophes. Taine comparait Maine de Biran à une cave obscure, et se moquait du Périgourdin qui avait attiré dans ses ténèbres quelques philosophes innocents. Lui qui trouvait déjà Bourget un malade, qu’eût-il dit en voyant, avec Proust, le roman lui-même installé dans la cave biranienne, exerçant de là sur une génération l’influence qu’avaient exercée sur Taine lui-même son cher Balzac et son cher Stendhal ?

Découverte d’un monde, comme cette exploration méthodique des grottes qui date de la fin du XIXe siècle, et pour laquelle il fallut créer le mot de spéléologie. Mais précisément, dans le roman, c’est-à-dire dans la seule direction où elle ait réussi, la génération qui découvrit, ou à laquelle se découvrit Proust, est la génération où tout se passe comme si elle avait pris pour mot d’ordre : la découverte des mondes nouveaux.

De là deux natures de roman qui répondirent à un appel d’air, le roman de l’aventurier et le roman de l’aventure.

Le Roman de l’Aventurier.
Le roman de l’aventurier (qui peut être d’ailleurs, le roman d’un sédentaire, ou de la Maison du baobab à Tarascon) a trouvé sinon ses modèles, tout au moins ses livres de base, dans deux romans qui parurent en 1913 et ne furent accueillis qu’avec des réticences, les Caves du Vatican, d’André Gide et le Grand Meaulnes d’Alain Fournier.

Le cas du premier roman est très curieux, parce qu’il nous permet de faire le départ entre ses deux éléments, un roman d’aventure, plus ou moins comique, qui n’est pas très réussi, et un roman de l’aventure, ce qui n’est pas la même chose, et de l’aventurier, qui paraît aujourd’hui étonnamment perspicace, parce que Gide y a préfiguré, en père spirituel,