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nous coûter son Bergson et Verdun son Barrès. Ensuite elle s’est trouvée en France devant un choix de faits, d’idées, de problèmes, qui semblent présenter à l’intelligence une réalité impensable, la réalité de l’impensable. La manière dont les régimes totalitaires, nos voisins, ont tranché ces nœuds gordiens, c’est un coup de désespoir, devant lequel la République des Lettres éprouve le même recul que la République tout court. Enfin le problème de l’indépendance de l’écrivain est devenu, depuis la guerre, particulièrement délicat.

La littérature d’idées-mères est le sommet d’un massif sur les pentes duquel, à des niveaux inégaux, on trouve l’histoire, l’essai, la critique, le journalisme.

L’Histoire.
En histoire, deux lacunes, qui, ici encore, concernent la tête.

D’abord on n’a pas vu reparaître la grande histoire à synthèse et à considérations, qui était l’œuvre d’une vie et qui représente une carrière littéraire et académique, l’histoire des Sorel, des La Gorce, des Jullian. En second lieu, l’histoire universitaire a recruté moins facilement les bataillons de travailleurs et les grands ingénieurs qui assurent son labeur normal et fructueux. Plus que dans des œuvres originales, le meilleur de son effort a passé dans les œuvres collectives, les grands manuels, dont la production après la guerre a connu une grande prospérité. Le travail en équipe, quelquefois avec des directives de propagande, n’est pas toujours favorable à l’originalité et à l’indépendance.

La révolution qui s’est produite dans les mœurs littéraires, la faveur que le public a montrée aux récits historiques, a provoqué une immense demande des libraires, à laquelle les romanciers les plus connus, et surtout les autres, ont intrépidement répondu. Cette marée ne se retire que lentement. Elle est d’ailleurs l’exagération et le déséquilibre d’un mouvement par lui-même intéressant et raisonnable, le goût pour la biographie, qui a porté surtout sur les politiques et écrivains du XIXe siècle. Chateaubriandistes, lamartiniens, hugoliens, balzaciens, beylistes, nervaliens, flaubertistes, galtéristes, huysmansiens, verlainiens, demain sans doute barrésiens, proustiens, gidistes, valériens, forment des groupes sympathiques, qui produisent toute une littérature déli-