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Le nouveau régime scolaire.
D’abord la révolution scolaire de 1902. Avoir vingt ans en 1914, c’est avoir fait ses études, avoir passé son temps de formation, dans les premières années du XXe siècle. Les neuf dixièmes des écrivains appartiennent à la bourgeoisie, et, boursiers ou non, reçoivent l’enseignement secondaire. Or, en 1902, l’enseignement secondaire, tel qu’il s’était transmis des Jésuites à l’Université du XVIIIe siècle et de celle-ci à l’Université du XIXe siècle, change de caractère. Le latin et surtout le grec sont plus ou moins déclassés, et les langues anciennes, la formation humaniste ne constituent plus la marque nécessaire et éminente de la culture. La démocratie coule à pleins bords dans les cadres pédagogiques. L’expression d’humanités modernes entre en faveur. Le terme de modernisme, introduit par les Goncourt pour exprimer une forme d’art littéraire, employé par les théologiens pour désigner une façon plus souple de comprendre l’évolution des dogmes, servirait ici à exprimer ce qui s’insinue d’anti-ancien, d’anti-classique, d’anti-traditionnel dans l’éducation des générations nouvelles. Les langues modernes prennent une partie de la place occupée jusqu’alors par les langues anciennes. La jeunesse voyage, le normalien moyen part en tournée autour du monde, les enfants s’échangent entre les pays et les langues. Les influences étrangères de toutes sortes trouvent un accès plus facile, des terrains plus perméables.

Cette jeune génération aventureuse qui parle les langues, qui est devenue sportive, qui est partie pour le goût et pour la conquête de la planète dans les dernières années de l’avant-guerre, brusquement est bloquée par la guerre. Quand on ramène les poissons des grands fonds, ils arrivent à la surface avec des organes que la décompression a fait éclater. C’est en cet état de révolution intérieure que cette génération est entrée dans ses vingt ans. La première génération dont l’adolescence ait échappé à l’humanisme traditionnel a échappé en outre par sa jeunesse à l’humanité traditionnelle.

Décompression.
Elle a porté et portera jusqu’au bout les marques de cette décompression. Ces révolutions du moi, qui paraissent autour de 1920, sont l’état d’un moi éclaté comme la vessie de ces poissons. Gide, ou le moi