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a mis sur la scène, seul peut-être parmi ses nombreux coreligionnaires du théâtre, les souvenirs et les problèmes des enfants d’Abraham. Et ces sujets l’ont remarquablement inspiré. Depuis trente ans, avec sa pièce annuelle, il a connu peu d’échecs, et il a été très attentif à se maintenir dans le courant, dans les conditions du succès. Il ne s’est vraiment renouvelé depuis la guerre qu’avec Judith. Mais il s’y est essayé avec adresse et succès dans une série de pièces récentes, dont aucune ne ressemble à l’autre, ni à plus forte raison ne ressemble au légendaire théâtre brutal du Bernstein d’avant-guerre : la Galerie des Glaces, Mélo, Félix, Espoir. Le public les a fort bien accueillies, même et surtout la dernière, qui est du Brieux supérieur : elles occupent une place honorable ; si elles sont les bienvenues à une époque de théâtre pauvre, elles ne s’imposent pas avec le même allant neuf que le Secret, la Rafale ou Samson.

La Vie parisienne.
La tradition du théâtre français exige un enregistrement perpétuel de la vie parisienne. Le public de Paris vient en partie dans la salle pour se reconnaître sur la scène. Depuis le Second Empire le nom officiel de Vie parisienne appartenait à une pièce de théâtre, écrite par Meilhac et Halévy pour l’Exposition de 1867, et à la gazette fondée par Marcelin, laquelle eut jusqu’en 1914 une existence littéraire. (N’oublions pas qu’elle avait été inaugurée par le Graindorge de Taine). Dans les quinze dernières années du XIXe siècle, elle était devenue très brillante, surtout dans un genre de dialogues mondains, observateurs et ironiques, dont Gyp fut l’initiatrice, et qui assembla bientôt, sous des pseudonymes, Lavedan, Donnay, Hermant, Veber. Ces dialogues, qui au fil d’un lien assez lâche et d’un thème à tiroirs se suivaient pendant une douzaine de numéros, furent ensuite demandés aux mêmes auteurs pour des quotidiens à grand tirage comme le Journal. C’était une manière de théâtre écrit comme celui de 1820. Ce théâtre écrit coule vers la scène d’un mouvement naturel. En un tournemain les Transatlantiques ou le Nouveau Jeu ont pu être transformés en pièces, et retrouver devant les spectateurs tout le succès que leur avaient fait les lecteurs. De là ce qu’on pourrait appeler une école de la Vie parisienne, un théâtre où il y a plus de