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Bataille a débuté au théâtre par les pires fadaises symbolistes, avec la Belle au Bois Dormant, et pour telles dernières pièces d’avant-guerre comme le Phalène, il a suscité de la critique l’étiquette de « théâtre faisandé ». Entre les deux, il a écrit trois pièces originales, dont la seconde au moins mérite de rester, Maman Colibri, la Marche nuptiale, la Vierge folle. Comme Porto-Riche, il a créé des figures de femmes qu’on n’a pas oubliées, et sa Grâce de Plessans est d’autant plus vraie qu’elle est faite de contradictions, que ne comporte pas la logique, mais que supporte admirablement la vie. Il lui manque à vrai dire des dons de théâtre importants : celui du dialogue et celui de l’équilibre et de la progression des scènes. Personne mieux que lui n’illustre les périls où courait une génération qui ne partit pour le théâtre qu’après avoir jeté des coups de pied dans la vieille technique, et bousculé quatre S dont il n’était pas sûr qu’ils n’eussent du bon : Scribe, Sardou, Sarcey et la scène à faire. La poésie artificielle de Bataille n’apportait pas de compensation suffisante à cette faiblesse technique, et les pièces où il a visé le plus haut, comme les Flambeaux, comédie de l’homme de génie, sont naturellement les plus manquées. Ses pièces sociales de l’avant-guerre sont artificielles et comptent peu.

Bernstein peut passer au contraire pour un maître dans l’art de la « pièce », extrêmement habile à repérer chaque saison le sujet de la pièce à faire, technicien très sûr de théâtre, bien placé au contact de la scène et de la vie. Ses personnages principaux ont été longtemps des êtres tarés, violents et déchaînés. Le lieu commun qui faisait du théâtre de Bataille le théâtre faisandé était équilibré par le lieu commun qui faisait du théâtre de Bernstein le théâtre brutal. La place d’œuvre typique et de chef-d’œuvre occupée dans le théâtre de Bataille par la Marche nuptiale serait tenue dans celui de Bernstein par le Secret, où un portrait aussi original de femme est donné non plus du tout par des moyens littéraires, mais par des moyens de pure technique dramatique. Dans Samson, pièce de la Bourse, dans Israël, pièce du sang juif et du problème de race dans la société parisienne, dans Judith, pièce biblique dont la première moitié s’élève aussi haut, ou plus haut que le Secret, Bernstein