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qu’Amoureuse a fondé un certain théâtre juif, qui trouva vite ses affinités et son terrain propre dans le groupe des Juifs du lycée Condorcet qui fondèrent la Revue Blanche. Ce théâtre sympathisa avec une théorie de l’amour nomade, polygamique et polyandrique, que Léon Blum, critique dramatique du groupe, exprima dans son livre Du Mariage, et que Tristan Bernard, humoriste du même groupe, illustra dans le roman d’Un Mari pacifique. Romain Coolus en fut pendant une dizaine d’années le dramaturge, de l’Enfant malade à l’Enfant chérie. Parmi ceux qui eurent vingt ans dans les toutes dernières années du XIXe siècle, ce théâtre à la fois très parisien et très juif, né fort naturellement sur la décomposition superficielle d’une grande capitale, accrut ses effectifs avec Francis de Croisset, autour de l’aimable Le Bonheur, Mesdames (1905), Nozière, plus scolaire, qui se spécialisa dans le libertinage genre XVIIIe siècle, André Picard, dont Jeunesse (1905) fut remarquée, Edmond Sée dont la Brebis (1896) est une des bonnes pièces de cette fin de siècle.

Bataille. Bernstein.
Comme la France est un pays où tout le théâtre est de Paris, où ne peuvent par conséquent fonctionner sur le registre dramatique aucune de ces substantielles références et oppositions qui relient si visiblement les romanciers aux divers génies provinciaux, force nous est bien de chercher à distinguer les natures dramatiques, quand nous le pouvons, selon les oppositions purement parisiennes. Or la différence entre auteurs juifs et auteurs chrétiens est une de celles dont, à partir de 1890, la critique peut user pour établir ses catégories. On fera bien cependant d’y mettre de la discrétion et des nuances. C’est ainsi qu’à partir de 1900 deux auteurs exactement contemporains occupent le premier rang du jeune théâtre : Bataille et Bernstein. Or Bataille, d’origine symboliste, poète raffiné de la Chambre blanche, représenterait fort bien la tradition de la Revue de même nuance, du théâtre juif, de sensualité âcre : On a pu appeler son théâtre le théâtre de la femme. Or des deux, le Juif c’est Bernstein qui est à la scène un auteur parfaitement sain, si ses personnages ne le sont pas, et dont le théâtre plus qu’un théâtre de passion, pourrait s’appeler un théâtre d’action.