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celles d’aucun dramaturge de son temps. Il a acquis progressivement son succès sur les résistances du public, sans lui faire de concessions trop sensibles, et en l’élevant à lui presque à la force du poignet. Et cependant il a vite daté ; l’entrée au répertoire ne l’a pas défendu. Il a gardé beaucoup plus de prestige parmi les gens qui lisent les pièces, et à l’étranger, que parmi les familiers de la scène. Il a pris figure d’un Sully-Prudhomme de théâtre. Cette destinée tient à la partie dangereuse qu’il a jouée : celle du théâtre d’idées. Les idées se remplacent automatiquement, tandis que les sentiments sont éternels. Les idées ont leurs spécialistes, les hommes de leur foyer. Elles ne passent guère chez les hommes de théâtre que comme leurs maîtresses d’un soir. Et le Repas du Lion, la Nouvelle Idole, la Comédie du Génie font vraiment ressembler la scène à l’école du soir. Qui dira de Curel : « C’est un primaire ! » parlera injustement, mais enfin sera compris, posera une base de discussion qui concernera Curel, et le théâtre d’idées…

Hervieu.
Une discussion qui finira sans doute par respecter Curel, mais qui trouvera sa victime en Paul Hervieu. Hervieu a connu de nombreux succès, et a presque remplacé Dumas fils pour le public mondain et grand-bourgeois de 1895 à 1910. Il a mis très adroitement à la scène tous les problèmes qui concernent le genre de vie conjugale et familiale de la bourgeoisie aisée : le mariage (Les Tenailles), la famille (Le Dédale), les pères et les enfants (La Course du Flambeau), l’adultère, (L’Énigme). C’est donc une littérature de classe, au sens social. Hervieu a voulu que ce théâtre de classe eût de la classe, en outre. Il a demandé cette classe d’abord à la rhétorique, soit à un style littéraire, dont la fabrication pénible fait regretter Scribe, ensuite à la rhétorique supérieure, soit à une conception qui lui avait été suggérée par Brunetière. Le célèbre critique avait déclaré à Hervieu que les lois de l’évolution des genres devaient mettre en premier la tragédie en prose. En 1843 c’était la tragédie en vers. Hervieu fit de la tragédie en prose avec un succès moindre que celui de Ponsard, mais suffisant, et qui devait avoir le même lendemain.