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que, et la Parisienne un Plus Heureux des Trois. Mais Becque manquait de spontanéité. Après la Parisienne, il travailla quatorze ans aux Polichinelles, dont il ne laissa que la valeur de deux actes. Comme Lesage, et Balzac encore, il n’a fait qu’une pièce.

Le Théâtre libre.
Pas plus que les Corbeaux, le Théâtre Libre n’a prétendu fonder un théâtre naturaliste. Simplement il s’est trouvé, par position, en relation avec le naturalisme. Antoine était un jeune Parisien du peuple, employé du Gaz, qui comme des milliers d’autres Parisiens avait dans les doigts, les membres et la langue, la passion du théâtre. Il forma une troupe de bonne volonté. Cette troupe donnait à bureaux fermés, chaque mois, une pièce qui n’avait qu’une représentation, pour des abonnés dont les souscriptions couvraient les frais. Ces représentations, considérées comme des réunions privées, échappaient à la censure. Ce théâtre fut naturellement amené à donner des pièces que la censure aurait interdites sur un théâtre régulier, et aussi des pièces d’essai, même de poésie pure, pour public restreint (l’élite, comme on disait). Le Théâtre Libre prit naturellement le caractère d’un champ d’expériences dramatiques, analogue aux « petites revues » qui commençaient leur âge d’or. C’est alors qu’entrent dans le langage comme dans la réalité les termes de littérature et de théâtre « d’avant-garde ». L’avant-garde qu’était le Théâtre Libre comprit des naturalistes ou des « médanistes », comme Hennique, Céard, Alexis, des fantaisistes comme Émile Bergerat, des romantiques comme Mendès, des félibres comme Paul Arène. Lavedan y débuta ; les mêmes acteurs y jouaient le Baiser de Banville et des « tranches de vie » qui se passaient dans des maisons closes. Antoine enfin joua la Puissance des Ténèbres de Tolstoï en attendant de donner les Revenants d’Ibsen. Quant au prétendu réalisme de la représentation, qui consistait par exemple à faire parler souvent les acteurs entre eux, le dos au public, il était plus incommode que révolutionnaire. Simplement l’ardeur, la conviction, le désintéressement d’Antoine imposèrent aux acteurs et au public l’idée qu’il fallait faire quelque chose, et libérer le théâtre, on ne savait d’ailleurs pas très bien de quoi. L’ef-