Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
femme le principal salon de la fin de la monarchie, Jacques Necker resta en France jusqu'à la soixantaine. Et pourtant il peut passer pour le premier en date des écrivains proprement genevois, avec les qualités et les défauts que comportent toutes les branches de cette famille littéraire : Considérations à la manière de sa fille (Essai sur l’Importance des Opinions religieuses) ; prêche de pasteur qui a appris le beau style dans Thomas (Cours de Morale Religieuse) ; humour un peu laborieux, mais agréable et fin comme celui de Töpffer et de Petit-Senn (Le bonheur des Sots). Il est enfin l'homme dont le Suisse Meister a dit que « dans les premières années de son séjour à Paris, il lui était arrivé cent fois de rester plus d'un quart d'heure dans son fiacre avant de parvenir à se décider sur la maison où il devait se faire conduire d'abord » et qui a écrit des centaines de pages intimes parfaitement amieliennes. Nous ne parlons pas de ses écrits de finance, d'administration et de politique : ils sont d'un patricien qui veut faire les affaires de l'État français, comme il a fait les affaires de sa banque, et comme il ferait, s'il y était resté, les affaires de sa petite république. Il manqua toujours aux Necker et à leur descendance de bien connaître les Français.

C’est le second des citoyens de Genève qui aient eu sur la France une immense influence. Des historiens ont fait de son ministère la cause principale de la chute de la monarchie. Laissons cela. Seuls les quinze volumes de ses Œuvres nous importent. Et surtout sa place de fondateur et de chef d’une grande famille littéraire, qui, par les Broglie et les d’Haussonville a duré jusqu’au XXe siècle.

Suzanne Necker.
Si nous avons quinze volumes d’œuvres diverses de Necker, nous avons six volumes de Mélanges de sa femme, Suzanne Curchod. Fille de pasteur, sans autre fortune que la fraîcheur de sa beauté et de sa conversation, portant avec une grâce sérieuse ce qu’on appelait un esprit élevé, reine du pays de Vaud, elle avait, comme une bergère un roi, épousé le banquier genevois. La chanson rustique de noces qui avertit la jeune fille que sa royauté de mai finit avec le mariage, et que les charges de la vie et le travail d’une ferme à conduire commencent demain matin à quatre heures, ne fut pour aucune paysanne aussi vraie que