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de cette école en distinguant un peu artificiellement, comme il est inévitable, les militants, les alliés, les représentants, les héritiers et les encadrés du symbolisme.

Militants.
Les militants sont les symbolistes de la première heure qui ont créé les cadres et posé les problèmes de l’école. Leur activité est liée surtout à celle des « petites revues » si grandes, comme la cassette d’Harpagon, par ce qu’elles contenaient, et qui restent une des trouvailles du symbolisme. Il faut y faire une des premières places aux rédacteurs de la Vogue (le premier numéro est d’avril 1886), Jules Laforgue et Gustave Kahn. Laforgue, mort à vingt-sept ans, aurait été probablement un des écrivains les plus neufs et les plus complets de sa génération. Ce qu’il a apporté d’essentiel dans le symbolisme c’est l’alliance entre les habitudes (ou les procédés) de la poésie populaire, et la sensibilité contemporaine la plus ouverte et la plus fine. Joignons-y une influence peu heureuse de ses lectures de Schopenhauer et de Hartmann. Il est démodé, mais a gardé beaucoup de fidèles. Gustave Kahn a été un poète organisateur et technicien. Pareillement l’histoire de la technique symboliste ne doit oublier ni Stuart Merrill, champion excessif de l’allitération, ni Robert de Souza, phonéticien poète. La plus étonnante machine technique de cet âge militant du symbolisme, c’est l’œuvre de René Ghil qui prétendit mettre, ou plutôt instrumenter, en vers libres rocailleusement scolaires, l’évolution du monde et de l’humanité. Tous ces militants ont été extrêmement sérieux et si l’un des honneurs de la poésie consiste en ces tentatives sur une limite dont Mallarmé reste le héros, ils mériteront d’être soustraits à l’oubli.
Alliés.
L’influence d’une école se mesure aux alliés ou aux sympathisants, grâce auxquels elle arrive à faire entrer sa couleur dans la teinte générale d’une littérature. Des demi-symbolistes ont flotté entre le symbolisme et le Parnasse, ont fait entrer alors dans le vers régulier la musicalité imprécise propre à l’école nouvelle. Ephraïm Mikhaël, plus purement parnassien, Louis le Cardonnel, païen harmonieux qui s’achève en chrétien, Albert Samain qui est devenu par ses qualités moyennes le poète de sa génération le plus lu du