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un état stable de la poésie, la liberté soit, mais la liberté à l’intérieur de cadres. La belle folie romantique n’a pas duré dix ans, et le Parnasse a toujours été sage. Mais le symbolisme a habitué la littérature à l’idée de révolution indéfinie, à un blanquisme artistique, à un droit et un devoir de la jeunesse qui consistent à bousculer la génération précédente, à courir vers un absolu. Si les poètes se sont divisés en réguliers et en vers-libristes, la littérature s’est divisée en littérature normale et littérature « d’avant-garde ». L’avant-gardisme chronique de la poésie, le « Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? » du public « averti », le rôle officiel des jeunes, la multiplication des écoles et des manifestes par lesquels ces jeunes se hâtaient d’occuper cette extrême pointe, d’atteindre pour une heure cette crête de vague sur la mer mouvante, ce n’est pas seulement un fait nouveau de 1885, c’est un climat nouveau des lettres françaises. La révolution symboliste, la dernière jusqu’ici, aura peut-être été la dernière absolument, parce qu’elle a incorporé le motif de la révolution chronique à l’état normal de la littérature.
Décadence et Symbolistes.
Il est possible que dans une vieille littérature ce soit la un signe de décadence. Mais on notera d’abord qu’il s’agit d’un climat poétique, et que la poésie, précisément depuis le symbolisme, reste de moins en moins le principal de la littérature. Et l’on remarquera aussi que le terme et la chose de décadence ont été d’abord inscrits sur un des drapeaux de l’école nouvelle, et qu’une de ses revues s’appela le Décadent. C’est même pour écarter ce nom dangereux et le ramener à son état naturel de sobriquet que Jean Moréas trouva le mot de symbolisme.

L’élan symboliste dura une quinzaine d’années, jusqu’en 1902 environ. Il est à son plein de jeunesse créatrice en 1890, quand paraît dans l’Écho de Paris, l’Enquête sur l’Évolution littéraire de Jules Huret. Après 1902 on se demande ce qui va remplacer le symbolisme. Un de ses représentants éminents, Henri de Régnier, entra bien à l’Académie en 1911. Mais cela ne signifiait point : « Symbolisme pas mort ». Au contraire.

On mettrait quelque ordre dans le tableau touffu des poètes