Précisément, qu’on mesure la force incantatoire que conservent, que manifestent aujourd’hui ces neuf syllabes portées par le funambulisme de la rime, et qui, ayant percé à travers une durée, sont arrivées à signifier immensément, sont devenues claires et profondes universellement, ont réussi. On verra dans ce microcosme, dans cette goutte, dans cette vibration unique, toute la destinée de la poésie mallarméenne, sa fonction unique, le minimum de matière verbale sur laquelle pour s’élancer elle appuyait son pied nu : l’initiative cédée au mot, et, comme dans la mitrailleuse, récupérée des mots, le déclassement d’une poésie, l’aurore d’une autre, la transformation du but, de la substance et du goût poétiques par le levain d’une œuvre légère.
Dans l’œuvre de ce poète adolescent, les vers importent moins que la prose. Les poèmes en vers sont brutaux et grossiers, puissamment colorés, et les souvenirs de Hugo ou d’autres n’y manquent pas. Rimbaud ne les destinait point à l’impression, donnait le manuscrit à n’importe qui sans plus s’en soucier, ce qui nous en reste ayant été conservé par des amis étonnés, dont Verlaine. L’œuvre vraiment géniale de Rimbaud est faite de deux plaquettes de poèmes en prose, les Illuminations et Une Saison en Enfer, cette dernière imprimée — la seule de ses œuvres — par les soins de Rimbaud, qui d’ailleurs s’en désintéresse aussitôt et l’abandonne à l’imprimeur pour s’en aller sur la planète. La prose électrique et sèche