« Céder l’initiative aux mots » la déclaration est de Mallarmé lui-même. L’ancêtre romantique, le tétrarque parnassien, le symboliste hermétique, jouent leurs trois parties sur la même ligne, à travers la durée de trois écoles.
Le théâtre a débuté sur le chariot de Thespis, la machine à vapeur par le couvercle qui remue sur la marmite quand l’eau bout. Pareillement l’initiative cédée aux mots, ce sont d’abord les bouts-rimés, soit les ponts de phrases établis entre des rimes données. Il y a un minimum de bouts-rimés dans toute poésie française. Mais Hugo est venu. Un poète s’est rencontré, qui, comme l’araignée jette de sa substance un fil entre deux points solides proches, a toujours pu lancer un pont d’images et de logique entre deux belles rimes, revêtir d’une cristallisation intelligible les mots que leur poids de musique faisait descendre incessamment sur lui. Les mots chez Hugo sont chez eux comme les abeilles dans la ruche, et ils y bâtissent un miel autonome. Évidemment leur initiative est réduite chez Banville : réduite surtout à la rime. Mais Banville se fait le metteur en place, le théoricien amusé, parfois clownesque, de cette initiative. Mallarmé en devient le mystique.
Dans la poésie pure de Mallarmé, l’initiative est cédée aux mots comme, dans la mystique du pur amour, l’initiative est laissée à Dieu. Au principe d’un poème il y a bien un schème, un ton émotif, un vide réceptif, une disponibilité, comme au principe du pur amour il y a toujours l’individu. Sur ce schème, pour le faire passer à l’être, agissent l’incantation et la magie transfiguratrice des mots, que le poète convoque, et à l’opération de qui il s’abandonne. Mais tandis que les mots débordaient chez Hugo en un fleuve puissant et