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VI
LES DISSIDENTS
En nommant Épigones les poètes qui ont de vingt à trente ans en 1870, nous avons suggéré qu’ils étaient des héritiers, qu’ils n’appartenaient pas à une génération créatrice, mais à la volée qui entretient un feu allumé sur la demi-génération de relais. Le renouvellement poétique de masse ne se produira que trente ans après la génération des Tétrarques. Mais il est annoncé par ceux qu’on peut appeler les dissidents de 1870, soit une demi-génération de mouvement, contemporaine de la demi-génération de relais, celle-là décollant vers un avenir comme celle-ci adhère à un passé, et toutes deux, se croisant dans cette gare poétique du Parnasse contemporain, où Mendès, Ricard, les casquettes de sous-chefs, s’affairent.
Les poètes maudits.
Le premier recueil du Parnasse contenait en effet des vers de Paul Verlaine, né en 1844, et de Stéphane Mallarmé, né en 1842, qui ne ressemblaient pas tout à fait aux autres. Dans la corbeille d’œufs de poule on distingue les deux œufs de cane. Dès l’éclosion, les canetons reçurent d’ailleurs des coups de bec. Verlaine ne collabora plus au Parnasse, et Mallarmé en fut expulsé à la suite d’un rapport très méprisant d’Anatole France. Ils disparurent jusqu’en 1885, Verlaine dans le vagabondage, Mallarmé dans d’obscures besognes de maître d’anglais. Un et deux ans après Verlaine naissent Tristan Corbière (1845) et Lautréamont (1846). Rimbaud qui ferme la marche ne naît qu’en 1854, mais son étonnante précocité fait croire que la nature veut rattraper le temps perdu et placer