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des fonctions, analogues à celles qui ont favorisé son adversaire Bremond. Une lecture abondante, une érudition très suffisamment tenue au courant, un vieil humanisme d’élève des prêtres, et surtout un talent remarquable de journaliste et de polémiste, ont fait de Souday pendant dix ans la figure la plus voyante et même la plus populaire de la critique. Il a donné sa forme, son champ de bataille, son retentissement à l’opposition entre droite et gauche, en littérature et particulièrement en critique. Il a eu la chance d’écrire et de briller juste au moment où il était paradoxal dans les lettres de se comporter en anticlérical, en républicain indéfectiblement laïque. Ses partialités apportaient un contre-poids intéressant au déversement de la République des Lettres vers la droite et vers le catholicisme.

Souday ne représentait pas une critique de durée (ses meilleurs articles n’ont pu tenir le volume), mais par excellence une critique militante. Il entretenait dans la critique un esprit et un ton militants, qui pour diverses raisons sont un peu tombés après lui, et dont Fernand Vandérem qui les représentait avec lui et volontiers contre lui, garde encore la tradition. C’est en grande partie Souday et Vandérem qui permettraient d’écrire une histoire militaire des campagnes critiques depuis la guerre, campagnes de droite et de gauche, campagne de la poésie pure, campagne des manuels, campagne autour de Valéry. Souday avait trouvé pour son confrère le diagnostic de « grabugiste professionnel », dont lui-même pouvait prendre sa part. Le grabuge manque aujourd’hui dans la critique de journal : désintérêt ?

Ou crise d’autonomie dans la République des Lettres ? Les disputes proprement littéraires, les disputes où l’accent était mis sur la littérature sont de plus en plus absorbées par les disputes politiques et sociales, et mangées par elles. Dès qu’elle quitte sa recension des livres nouveaux, la critique journalière ne trouve plus à sa porte la banlieue verte, les promenades d’idées, les jardins d’Académus, les terrains de sport pour les équipes littéraires, mais la banlieue industrielle, la lutte finale, l’atmosphère ligueuse. Il y a eu après la guerre ce qu’on a appelé la crise du concept de littérature. Mais cette crise était encore une crise littéraire. Comme en 1830,