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cornéliens et des raciniens, des rousséliens et des voltairiens, qu’un problème de Michelet, un problème de Hugo, ont pu être posés en termes neufs, dans le sens et dans la mesure où ils intéressent non pas une idée du beau ni même du vrai, mais une idée de la France. Avec Péguy, la critique de nourritures communie avec les substances nourricières physiques produites par le cultivateur de la terre de France, avec le blé de Beauce et le vin de l’Orléanais. « Rien de noble, a dit le bourgeois et l’héritier Barrès dans Un homme libre, ne fut pensé en dehors d’un fauteuil. » Il n’y a pas de fauteuil dans une maison de paysan, et il n’y en avait pas aux Cahiers. Péguy ne se supportait assis que sur une chaise. Le péguysme donne droit de cité à une critique de la chaise, distincte et même ennemie de la critique de la chaire, professorale, et de la critique du fauteuil, académique. Si la critique professorale et académique, Brunetière, Lemaître, Faguet et la suite, est florissante jusqu’à Péguy, et en décadence après Péguy, il semble que Péguy y soit tout de même pour quelque chose. Surtout il est pour quelque chose dans les produits, d’ailleurs assez complexes et troubles, qui les ont remplacées.

La critique de nourritures implique une critique de parti, une prise de parti, des choix de partisan, la volonté d’une foi, un « quelque chose » d’abord, qui n’est pas la littérature. Elle a pris vers 1910 avec l’école d’Action Française, un parti politique bien éclairé, et la réaction de gauche n’a pas équilibré cette action de droite. Et aussi et surtout elle a pris un parti, des partis religieux.

Critique catholique.
En 1894, la Visite au Vatican de Brunetière avait brusquement orienté vers l’Église la critique jusque-là rationaliste et même darwinienne du célèbre professeur, et la revue libérale du voltairien Buloz. L’aventure religieuse de ce converti de Bossuet passa d’ailleurs par de singulières étapes, et ne paraît pas avoir concerné en lui cette vie intérieure devant laquelle il fut toujours en état de fuite. Mais l’affaire Dreyfus déclencha sur ces entrefaites une guerre de religion, et le vieux relief religieux de la France fut rajeuni par une poussée en profondeur. La conversion de Péguy dessine assez exactement le sens de cette poussée. D’une manière fort inattendue, la sé-