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Revue Critique des Idées et des Livres, le mouvement néoclassique, les Jugements de Massis, en ont témoigné. Mais cette critique est toujours restée en liaison étroite avec un traditionalisme, avec la notion, le sentiment vif et militant d’un héritage français à connaître, à délimiter, à maintenir, à défendre, notion qui a joué au début du XXe siècle un rôle analogue à celui de l’esprit français dans la critique et dans l’influence de Nisàrd, mais cette fois avec une dimension politique, le souci de nourrir une doctrine, d’établir des disciplines, d’employer l’intelligence, de contribuer à une restauration.

Du point de vue de la seule critique littéraire, on ne saurait comparer en importance l’influence de Péguy à celle de Maurras. Il n’y a même en somme pas un des Cahiers de la Quinzaine en qui l’on puisse reconnaître une œuvre de critique littéraire pure. Et cependant, Péguy et l’équipe des Cahiers, née, comme l’Action Française, de l’atmosphère de l’affaire Dreyfus, ont apporté dans l’atmosphère de la critique des éléments importants.

D’abord par ce que l’on pourrait appeler l’entrée de Péguy. Nous nous apercevons à distance qu’il y a eu une entrée de Péguy un peu à la manière dont il y a eu une entrée de Rousseau. Il a été le premier normalien (sinon le seul) qui soit sorti de la rue d’Ulm en gardant une nature populaire intacte, une peau de sanglier imperméable à l’esprit de la maison, un sens terrien hostile à un humanisme traditionnel, un œil rebelle à la lumière d’atelier. On a comparé l’échoppe des Cahiers à un brûlot amarré aux flancs du vaisseau de haut bord de la Sorbonne. Le « péguysme » a contribué autant que l’école d’Action Française à forger l’épouvantail du lansonisme et à déclencher une offensive contre les maîtres officiels.

En second lieu par l’équipe, d’ailleurs divergente (en rosace, eût dit Proust) des Cahiers. C’est là qu’ont été posées certaines questions dont on a vécu, qu’a été engagé un dialogue qui importe à la critique, que se sont battues des natures et des familles d’esprits — Péguy, Halévy, Sorel, Benda, — que, venus de plus profond encore, de vieux antagonismes français ont été ramenés au jour, comme celui des