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Le XVIIe siècle français c’est la littérature française d’avant les grandes influences étrangères, celles du Nord. Et dans celles que la littérature subit alors, l’italienne et l’espagnole, Brunetière ne voit guère que l’ennemi. Au contraire de Sainte-Beuve, Brunetière fréquentait peu les classiques de l’antiquité. Au contraire de Taine, il n’avait que peu de contact avec les littératures étrangères. Il a donné à la critique un caractère spécifiquement, bourgeoisement français, français avec défiance, dans un esprit agressivement réactionnaire. C’est un type — un personnage du Landerneau littéraire à la manière substantielle dont on est dans Balzac un personnage d’Angoulême, d’Issoudun, ou du Cabinet des Antiques. Il ne faudrait pas cependant que ces récurrences du XVIIe siècle chez Brunetière nous fassent oublier qu’il a été longtemps le critique littéraire courant de la Revue des Deux Mondes. Il a dû par conséquent faire œuvre de critique actuel, dire son mot sur la littérature de son temps. Et la critique contemporaine forme bien le tiers de son œuvre. Il est ici très inférieur à Sainte-Beuve lui-même (je ne parle pas de Taine qui n’a jamais osé s’exprimer sur ses contemporains). Il avait plus de raison que de goût, manquait absolument, en esthétique du moins, de sensualité, et bien que la conscience et l’intelligence aient fait de lui un excellent directeur de revue, il semble avoir été fort dépaysé par la littérature qui n’est pas faite, mais se fait. Son Roman naturaliste est extrêmement court : on y verra surtout la défense du « roman de la Revue » par le « nouveau Planche ». Sa campagne frénétique contre Baudelaire n’a desservi que Brunetière. Et ses conseils aux créateurs n’ont produit que la « tragédie en prose » dont il avait passé la consigne à Paul Hervieu. Le caractère reactionnaire et sans vues de sa critique contemporaine n’a pas finalement arrangé ses affaires auprès du grand public, encore moins auprès des auteurs.

Il est évidemment moins lu aujourd’hui que Sainte-Beuve. Pour le lire, comme on le doit, avec intérêt et profit, il faut aimer son style, si singulier, si personnel sous ses apparences de pastiche du XVIIe siècle, un style non seulement oratoire, mais parlé, gesticulé, où se gardent toutes vives les passions,