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que des idées, il a une idée. Et même il n’a eu qu’une idée, ce qui est admirable chez un critique. Et encore une vieille idée, celle de Voltaire et de Nisard, soit la primauté du XVIIe siècle, le XVIIe siècle défendu contre le XVIIIe siècle, contre le romantisme, contre ce qui, dans le XVIIe siècle, faisait prévoir la menace du XVIIIe siècle et du romantisme, — le XVIIe siècle retenu et considéré surtout dans ses deux états purs, Boileau et Bossuet, c’est-à-dire le classique et l’oratoire, norme et santé. Par rapport à ces normes sont diagnostiquées les maladies éternelles de la littérature française, le burlesque, le précieux, le romanesque, auxquelles se sont ajoutées, depuis, le romantique et le naturalisme. Il y a dans Brunetière du médecin de Molière. Au grand siècle il s’est peut-être appelé Gui Patin.

De cette idée, la primauté du XVIIe siècle, il était naturel qu’il tirât les idées des raisons de cette primauté, celles-ci : le XVIIe siècle croyait aux genres, pratiquait les genres distincts, tranchés, rationnellement définis ; le XVIIe siècle était chrétien et français.

Brunetière est devenu dès lors le critique des genres. Il a eu une idée puissante et originale des genres, il y a cru comme à des idées platoniciennes de la littérature, mais en critique, c’est-à-dire qu’il ne pensait pas que les intérêts de la littérature fussent liés à leur fixité, il croyait au contraire que l’intérêt de la critique consistait à les voir et à les suivre dans leur évolution. Débarrassée d’un appareil un peu artificiel et des métaphores darwiniennes, l’hypothèse de l’évolution des genres, qu’il développe dans le livre de ce nom, et qu’il appliqua à la critique et à la tragédie, a beaucoup moins échoué qu’on ne l’a dit ; elle reste une hypothèse d’usage et de travail.

Le XVIIe siècle chrétien, la littérature classique établie sur des valeurs catholiques, ce point de vue littéraire a fini par devenir chez Brunetière un point de vue dogmatique. Ce critique littéraire a donné le premier exemple d’une conversion littéraire : converti de Bossuet, comme il y a des convertis de Bloy ou de Claudel. Par lui surtout, le XVIIe siècle, dans les toutes dernières années du XIXe siècle, au moment de l’affaire Dreyfus, a été incorporé comme noyau à une sorte de