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lence de Gustave Kahn. Trois antiquaires juifs de la rive gauche.

Le Roman de Pays.
D’ailleurs le roman artiste est toujours un produit fini à Paris, ou un produit fini de Paris, et la psychologie de l’exception apparente qu’est Flaubert le ferait facilement rentrer dans cette règle. Mais il y a tout un roman qui n’est pas très artiste, heureusement pour lui bien souvent, et qui appartient en propre à la province. C’est le roman de pays qui a fini par prendre les noms disgracieux de régional ou de régionaliste. Il a été tellement florissant depuis le dernier quart du XIXe siècle que rien n’est plus facile que de dresser une carte romanesque de la France, aussi fournie que sa carte gastronomique. Elle ne nous met d’ailleurs pas l’eau à la bouche, et nous nous en abstiendrons. Presque tous ces romans de pays se ressemblent, appartiennent à un gaufrier. Les plus considérables seraient peut-être ceux du romancier périgourdin Eugène le Roy : Jacquou le Croquant et Mademoiselle de la Ralphie. Les pays qui les auraient fournis en plus grande abondance seraient le Quercy, avec le laborieux et noueux Léon Cladel, le romancier des prêtres de campagne Ferdinand Fabre, et le conteur aimable sans plus, Émile Pouvillon ; la Bretagne avec Charles le Goffic, la Bourgogne avec le Nono de Roupnel, le Bourbonnais avec la Vie d’un Simple de Guillaumin. On mettra a part le groupe des conteurs provençaux, qui figure ici une avant-garde et dont les maîtres, Alphonse Daudet et Paul Arène, appartiennent à la génération précédente.
Le Roman du Monde.
Il ne faut pas confondre le roman régional avec le roman de province, le roman appuyé sur la province. On peut presque dire qu’en France, depuis Stendhal et Balzac, le roman c’est la province, c’est le romancier venu de province à Paris, comme inversement le théâtre, c’est Paris et presque rien que Paris. Le roman purement parisien, le roman de la vie parisienne, manque souvent d’étoffe et mène à côté du roman nourri par la province une existence diminuée (à une exception près). Le classique du roman mondain, Feuillet, est lui-même un provincial, et les châtelains de sa campagne normande lui ont fourni les dessous de son œuvre. De Feuillet à Proust les gens du monde ont reproché aux romanciers de les pré-