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donna un ensemble singulièrement intelligent, mais presque exclusivement intelligent, ce qui n’est évidemment pas la qualité la plus nécessaire d’un roman. Il ne faudrait pas les séparer des Thibault de Roger Martin du Gard, qui furent écrits presque en liaison avec les Faux-Monnayeurs, et qui présentent les qualités et les défauts absolument opposés, ce qui fait un couple contemporain, contrasté et amical des plus curieux dans le paysage du roman.

Les Faux-Monnayeurs trouvèrent d’ailleurs auprès d’une jeunesse « inquiète » (ce fut de 1920 à 1930 une épithète rituelle, homérique) un accès extraordinaire. Ils ont contribué, d’une manière que nous ne jugerons pas ici, à en fixer pour un temps ce que Barrès appelait la sensibilité. Le roman de Gide ne fait que très modérément sa partie dans une histoire du roman français. Mais il la fait très puissamment, comme celui de Barrès de 1890 à 1902, dans une histoire des influences. Les Faux-Monnayeurs ont agi en fonction d’idées, comme des mythes : la vocation de faiseur de mythes que Gide avait essayée au temps du Voyage d’Urien était bien celle vers laquelle le poussait sa nature, et par laquelle après de singuliers et vivants détours, il a trouvé le meilleur de son influence actuelle.

Le Voyage du Centurion d’Ernest Psichari, autobiographie d’un jeune officier catholique, histoire d’une conversion et d’une campagne en Afrique, reste un livre témoin du mouvement littéraire catholique qui a suivi la séparation de l’Église et de l’État. Le Jean Perbal de Louis Bertrand, dont le dernier volume a paru sous le titre discutable de la Nouvelle Éducation sentimentale et qui aura sans doute une suite abondante pourrait bien rester comme un des témoins les plus instructifs et les plus intéressants de la vie d’un intellectuel, d’un normalien, d’un écrivain, durant cette génération. Cette autobiographie romancée qui a eu peu de succès reste très supérieure aux autres romans de Bertrand, même à Mademoiselle de Jessincourt.

Le Roman artiste.
Le roman personnel où l’œil de l’auteur est tourné en principe vers l’intérieur serait toujours, en principe, l’opposé d’un roman où l’auteur tourné vers l’objet, ne se soucierait que de représenter esthé-