Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de même ce sont là, ou ce furent, des écrivains de gauche, d’esprit laïque. Ils militèrent tous trois dans le parti de la révision à l’époque de l’affaire Dreyfus, et leurs romans sont, comme l’on dit, agnostiques. Bien que l’un d’eux au moins, Marcel Prévost, ait été élevé par les Pères, les questions de religion comptent peu ou point pour eux. Nous sommes à l’antipode de Feuillet et de Bourget. C’est d’ailleurs dans la direction catholique de ceux-ci que s’engage la plus grande partie du roman bourgeois ou du roman de bonne compagnie.

René Bazin et Henry Bordeaux ont écrit sur des thèses congénères leurs romans de défense sociale et religieuse. Bazin a eu deux ou trois fois le bonheur et l’intelligence d’écrire des romans dont le sujet était dans l’air politique et social, et de s’en tirer fort bien : celui de la propriété menacée avec la Terre qui meurt (1898), celui de la question alsacienne avec les Oberlé (1901), celui des institutrices laïques et chrétiennes de l’Ouest avec Davidée Birot (1912) ; c’est sérieux, élevé, émouvant, avec un sentiment poétique des choses de la terre et des choses de l’âme. Bordeaux a touché à plus de matière romanesque, mais ses meilleurs romans sont ceux où l’homme de loi se manifeste, où il y a une thèse à défendre, sur la famille (les Roquevillard, 1906) le souvenir des morts (le Barrage, 1927) la religion (le Chêne et les Roseaux) et même le rapprochement des races en Syrie dans l’ingénieux et tendancieux roman de l’occupation française qu’est Yamilé sous les Cèdres.

Bazin et Bordeaux romanciers sont portés par un fort courant de cette fin du XIXe siècle, celui dont témoignent surtout Brunetière, Bourget, Barrès, et que d’un mot familier à Brunetière on peut appeler le mouvement d’utilisation du catholicisme. Quelles que soient leurs expériences personnelles, ils font sentir et connaître le catholicisme comme système de conformismes et de cadres extérieurs bien plutôt que comme appel au secret de l’âme. Un contemporain de Bourget, le Vaudois Édouard Rod, a mis au contraire dans ses romans sévères (les deux Michel Teissier de 1893 et 1894, le Ménage du Pasteur Naudié de 1898) l’accent sur la tragédie intérieure et l’inquiétude protestante. La place que le calvinisme