Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’hui dans les lettres des hermantiens, un peu rares, mais dont l’espèce a chance de durer très longtemps. Tous les romans de l’auteur qui comptent comportent plus ou moins des clefs, sont des biographies transposées, comme la Journée brève est une autobiographie transposée. Rien qui favorise mieux une chapelle posthume que la recherche des clefs, dont la connaissance conférera des grades en hermantisme comme elle en confère en stendhalisme. Et cette chapelle sera desservie par le clergé des amateurs de style. Celui-ci est d’une élégance un peu pastichée, mais la République traditionnelle des Lettres serait bien malade, s’il ne gardait des amis.

La technique précise et sûre que Hermant met dans son style, son dialogue, ses portraits, Marcel Prévost l’emploie surtout dans la facture de ses romans. Ils lui ont valu un succès solide et durable. Ses lecteurs et surtout ses lectrices se renouvellent sans faiblir depuis plus de quarante ans. On ne consultera pas ses romans comme on consultera ceux d’Hermant, pour y trouver des mémoires qui servent à l’histoire de la société, mais, dans la mesure où la bourgeoisie française comporte une société des femmes, une République des femmes, comme des mémoires bien établis pour servir à l’histoire de cette République. Dans sa trentaine de romans, ce qui ne la concerne pas est factice, ce qui la concerne est vivant. En 1894, les Demi-Vierges n’ont pas seulement apporté un mot heureux, comme le Demi-Monde de Dumas, elles ont été l’une des découvertes du roman. Avec les Vierges fortes et les Anges Gardiens on en ferait volontiers une trilogie ou plutôt une quadrilogie, car les Vierges fortes ont deux parties, où se reconnaîtrait le meilleur de Prévost : caractères intéressants, histoire contée avec une lenteur habile, moralité finalement traditionnelle, que l’auteur prend à tâche d’obtenir par des moyens périlleux qui plaisent au lecteur. Comme l’auteur du Demi-Monde à son théâtre, l’auteur des Demi-Vierges a annexé à son roman un cabinet de direction de consciences féminines, d’où les Lettres à Françoise, c’est-à-dire à la jeune fille bourgeoise française. Elles sont agréables et judicieuses.

Le roman d’Hervieu, d’Hermant et de Prévost est évidemment respectueux de tout ce qui est respectable. Mais tout