Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créer, d’inventer, cette rupture de l’artiste avec son passé, si forte chez un Flaubert et qu’on retrouve chez Daudet, jusqu’à Sapho. De bonne heure il s’est répété, et à partir de 1912 environ, soit après la Vague rouge, sa production s’épanouit surtout en quantité.

Le naturalisme documentaire reste florissant et solide. On ferait du roman documentaire un tableau qui prendrait presque les proportions d’une encyclopédie. Georges Lecomte avec les Cartons verts (administration) et les Valets (parlementaires), Léon Frapié avec ses romans de l’institutrice, en fourniraient des exemples. On en ferait d’ailleurs toute une bibliothèque, et l’on sait comme ils ont continué à donner, comme ils abondent dans le courrier des académiciens Goncourt, qui les avaient d’abord favorisés. C’est d’ailleurs après 1914, que le roman documentaire aura son spécialiste le plus vigoureux, le plus original, le mieux muni d’expérience précise, avec Pierre Hamp et son cycle de la Peine des Hommes.

C’est au naturalisme documentaire qu’il faudrait rattacher Gustave Geffroy, l’auteur d’un minutieux roman sur la vie de l’ouvrière parisienne, l’Apprentie (1904), et Lucien Descaves, qui fut, au temps du naturalisme, poursuivi pour Sous-Offs, et dont la Colonne (1902) et Philémon (1913), romans d’un vétéran de la Commune, sont d’une riche épaisseur de mémoire parisienne.

On verra l’une des nouveautés curieuses du roman des milieux dans le roman du milieu, entendons le milieu des hors-la-loi et des mauvais garçons, écrit dans un esprit de sympathie, complice et ironique, et dont l’initiateur semble être Jean Lorrain. Charles-Henry Hirsch, avec le Tigre et Coquelicot (1905) et Eva Tamarches et ses Amis l’a popularisé. Mais il est surtout représenté par deux poètes : le parfait Charles-Louis Philippe de Marie Donadieu (1904), et de Bubu de Montparnasse (1906) et après la guerre Francis Carco.

Les hasards de l’évolution littéraire et les idées reçues de l’usager du roman font que le roman n’est plus dit documentaire dès qu’il concerne la bourgeoisie et les classes aisées ; il devient alors roman psychologique, ou roman romanesque, ou chronique de la société. On ne voit pas très bien pourquoi le tableau de la bourgeoisie appartient à une autre classe