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France Thibault, cet auteur du Catalogue Labédoyère, spécialisé dans la révolution française, devait écrire un roman sur la Révolution. Les Dieux ont soif est un livre d’une maîtrise absolue. C’est par ces deux ouvrages de ses dernières années que la faveur reviendra d’abord un jour à Anatole France.

Son discrédit actuel est un phénomène nécessaire, ordinaire dans la génération qui suit la mort d’un grand écrivain. Il a été légitimé en partie par la place exorbitante que France avait prise dans le premier quart du XXe siècle, non seulement comme chef de file reconnu de la littérature française, mais comme la plus rayonnante des personnalités littéraires de l’Europe. Il le devait d’abord à la valeur de son œuvre : l’origine de cette popularité était saine. Mais il le devait aussi à la place éminente que lui avait donnée dans la République de la raison son rôle dans l’affaire Dreyfus, où il avait recueilli, en somme, après 1902, l’héritage de Zola, comme préposé à la « conscience humaine ». Il le devait aux sympathies que lui valait dans le monde entier son « avant-gardisme » à l’époque où presque toutes les valeurs françaises étaient nationales, et nationalistes. C’est Romain Rolland qui après 1918 a recueilli ici son héritage, il y a une ligne droite Zola-France-Rolland. Mais d’autre part la grande guerre ayant été présentée, par une inévitable propagande, comme la guerre de la civilisation contre la barbarie, il s’est trouvé que, par position, par le poids même et le sens de son œuvre, par le trop-plein de culture que représentait sa synthèse d’Alexandrie et de Paris, France est apparu comme le symbole, le palladium de l’acquis, de la mémoire, de la tradition, de ce qu’on appelle du nom général de civilisation. On l’a vu, ainsi favorisé, défendu, accru, des deux côtés, comme Voltaire en 1820 quand les libéraux l’admiraient pour son antichristianisme et les Jésuites pour sa poésie. Il a fléchi ensuite, a été déclassé des deux côtés, à la fois, encore, comme Voltaire et le XVIIIe siècle entre 1830 et 1850. Il ne semble même pas que le moment soit venu où un retour à France pourrait exciter des imaginations et rendre des services, ce qui arrivera inévitablement à condition que l’avenir laisse subsister le phénomène littérature, ce que ne prévoyait d’ailleurs pas Anatole France. Le