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alors la revision. Ainsi parlaient l’organe de l’illustre compagnie de Jésus, et le journal officiel du judaïsme français, dirigé par des israélites éminents et pondérés. Les promesses de cette littérature furent tenues.

Après Gabriel Monod, le directeur de l’Institut Pasteur, Duclaux, avait proclamé la nécessité de la revision. Ce n’était encore que des voix isolées. J’accuse déclencha le mouvement des intellectuels révisionnistes ou des « intellectuels » tout court, mot employé d’abord comme une marque de mépris par les journaux anti-revisionnistes. Ce furent, entre autres, le chimiste Grimaud, Anatole France, Séailles, Desjardins, Darlu, Bréal, Louis Havet, Gaston Bonnier.

Les centres d’intellectuels révisionnistes étaient d’abord l’École Normale où l’influence dominante était exercée par le bibliothécaire socialiste Lucien Herr (on lui imputait la conversion de Jaurès au socialisme) aidé de Monod, d’Andler, de Paul Dupuy ; parmi les jeunes normaliens, Péguy d’abord, Langevin, Jean Perrin, Albert Thomas ; parmi leurs aînés : Léon Blum, Victor Bérard. C’est cette équipe universitaire qui de l’affaire Dreyfus et du mouvement « dreyfusard » fit sortir ce qu’elle appela le dreyfusisme. D’autre part deux salons, ceux de Mme Strauss née Halévy, et celui de Mme Arman de Caillavet deviennent les centres d’un dreyfusisme plus mondain que doctrinaire, qui recrute des protestataires parmi les écrivains, et dans ce qu’on appelle la rive droite.

Le 24 février 1898, lendemain du jour où Zola était condamné par la Cour d’Assises de la Seine à un an de prison pour la lettre J’accuse, une réunion se tenait chez le sénateur Trarieux où le dreyfusisme se donna un corps par la fondation de la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le dreyfusisme s’identifiait par là avec les principes de la Révolution française, avec l’éducation civique, avec le spirituel républicain. Le vieux propos « Évangile des Droits de l’Homme » reprenait une nécessité et un sens nouveaux, Les principaux fondateurs furent les savants Duclaux et Grimaud, les professeurs Paul Meyer, Giry, Molinier, Viollet, chartistes, les professeurs Séailles et Georges Lyon, philosophes, Desjardins, Havet, Émile Bourgeois, Lucien Herr, Réville, les médecins Richet et Paul Reclus, Arthur Fontaine, le fils et