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Barrière.
Les noms de Dumas, Augier, Labiche, Meilhac-Halévy et Sardou n’épuisent pas le théâtre de cette époque heureuse. Les succès de Théodore Barrière (dont Lambert Thiboust fut le collaborateur) ont balancé sous le Second Empire ceux de Dumas et d’Augier, quand il a mis sur la scène dans les Filles de Marbre, avec trop de facilité, l’avidité de la courtisane professionnelle, et frigide, — ceux de Labiche avec les Faux Bonshommes, tableau clair, dur et fort de trois registres de l’égoïsme bourgeois, pourvus de ces beaux noms des vaudevilles d’alors, Péponet,- Bassecourt, Dufouré, et avec les Jocrisses de l’Amour. — Cette vigueur de moraliste fait défaut à Pailleron, aimable auteur de comédies à la suite, spécialiste heureux des rôles d’ingénues pour la Comédie-Française (l’Étincelle, la Souris) mais qui a écrit le Monde où l’on s’ennuie.
Pailleron.
Le cas du Monde où l’on s’ennuie est très instructif. Il appartient, depuis sa première triomphale de 1881, à l’affiche ordinaire courante de la Comédie-Française. Par son retour rituel au répertoire d’été, il a rappelé la Cagnotte du théâtre voisin. Or la pièce est mince, la facture très adroite mais sans nulle originalité (le chemin des Pattes de Mouche vers les marronniers de Figaro), les personnages et les sentiments sans grand rapport avec l’humanité actuelle. D’où vient la fidélité du public ?

De ce que la pièce, comme peinture de milieu, n’a pas été remplacée. Comme Armance de Stendhal avait pour sous-titre Un Salon en 1827, le Monde où l’on s’ennuie est Un Salon en 1881. Un salon littéraire ; Molière n’avait pas dédaigné d’en mettre deux sur la scène, avec le Misanthrope et les Femmes Savantes (sans compter les Précieuses). Pailleron a tiré de Molière ce qu’il fallait et ce qu’il pouvait. Il l’a fait dans la maison de Molière : et la Comédie-Française seule pouvait donner à sa pièce une force d’institution comme elle en donne une à ses actrices en sursis prolongé. Les salons étaient le milieu naturel de Pailleron : trois ans auparavant il avait déjà peint un salon pour le Gymnase, dans l’Âge ingrat. Gendre de Buloz il était le beau-frère d’un salon, et un salon hait le salon rival. Pailleron a fait la comédie du salon littéraire, comme de Flers et Caillavet feront dans l’Habit vert celle de l’Académie,