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que le mode mineur vaut le mode majeur. Après 1870 les mineurs, Labiche, Sardou, Meilhac et Halévy, se sont mieux défendus qu’Augier et Dumas. En outre, ils ont inventé en technique dramatique, plus encore que les deux grands. L’intérieur de la pièce, le poids des idées n’existaient guère pour eux, les gênaient plutôt. Si Dumas et Augier ont ajouté raisonnablement au sérieux de la comédie, ces trois ou quatre dramaturges ont ajouté immensément à son mouvement. De leur capital de mouvement, le vaudeville, la pièce, le drame, l’opérette ont vécu un demi-siècle.
Labiche.
D’abord Labiche. Quand Labiche apporta au théâtre de la Montansier Un Chapeau de Paille d’Italie, il était déjà un vaudevilliste à succès. Il était chez lui à Montansier. On ne pouvait lui refuser une pièce. Mais le directeur Dormeuil monta celle-là à son corps défendant et déclara qu’il n’assisterait pas à la première représentation. C’est que rien n’est plus traditionnel qu’un vaudeville, et que, surtout pour un directeur de théâtre, un vaudeville est traditionnel ou n’est pas. Un Chapeau le fut à sa façon, soit en créant une nouvelle tradition, qui dura un demi-siècle.

Un Chapeau a substitué au vaudeville de situation, ou plutôt a superposé au vaudeville de situation, le vaudeville de mouvement. Les situations burlesques ne sont plus que des cerceaux de papier à travers lesquels est lancé et promené le cortège qui passe pour le plus comique, celui qui s’aligne à la foire devant les boules : une noce. La noce massacrée devient la noce sacrée, je veux dire la noce du délire sacré de la pompé aristophanesque, du mouvement pur et du délire panique. Substituez à la noce une troupe de provinciaux en visite à Paris : vous avez la Cagnotte. Un Chapeau et la Cagnotte furent longtemps les pièces les plus populaires du théâtre de Labiche. Mais cette comédie du mouvement pur ne fait qu’une partie du théâtre de Labiche, qui a mis sa signature à plus de trois cents pièces, et fut une manière de Molière ou de Dumas père du Vaudeville. On a goûté et l’on goûte encore en lui un moraliste caricaturiste, vrai contemporain de Daumier et de Gavarni, dont le théâtre figure comme un album animé et intarissable de silhouettes bourgeoises.

Le bourgeois de Labiche reste le même que le bourgeois de