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XVIIIe siècle. Comme celle-ci, elle est répandue vers le dehors. C’est une société aux lumières et aux lustres. Elle recherche avidement et publiquement le plaisir. La civilisation du plaisir, cela devient un état, même un problème de l’époque. Le signe symbolique de cette civilisation du plaisir, c’est l’entrée d’un nouveau personnage dans la vie parisienne, lequel va durer un demi-siècle, disparaître d’un coup aussi vite qu’il est venu : la grande courtisane classée. Or le théâtre sert plus ou moins de centre à toute civilisation du plaisir. Il reste cependant assez de sérieux et de tradition dans cette société pour contrôler, juger cette civilisation du plaisir, pour la penser comme une question morale et sociale en même temps qu’on la vit comme une destinée naturelle. Aussi le théâtre ambitionne-t-il de devenir une tribune, la comédie de mœurs de fonctionner comme critique des mœurs. La comédie prétend offrir à une Société plus mêlée et plus étendue, plus superficielle et mondaine, quelque chose de ce qui réunissait les auditoires autour de la chaire chrétienne au XVIIe siècle, de la chaire professorale sous Louis-Philippe. La génération de 1850 est une génération théâtrocratique.
Les nouveaux publics.
Une révolution dans le public. Sous le Second Empire, le public ordinaire des théâtres augmente considérablement. Les chemins de fer font un nouveau Paris, le Paris des voyageurs, pour qui la soirée qu’on ne passe pas au théâtre est une soirée perdue. Au public traditionnel des théâtres, celui des honnêtes gens de Paris, s’ajoutent trois publics : celui des étrangers, celui des provinciaux, celui des nouveaux riches, pour qui la littérature française c’est moins ce qu’on lit que ce qu’on voit (et qu’il « faut avoir vu ») et qu’on entend sur la scène. Ce public fait, comme autrefois les voyageurs à Venise, la fortune des courtisanes du nouveau Paris. Elles tiennent une place extraordinaire dans le théâtre de cette époque (Dame aux Camélias, Demi-monde, Filles de Marbre, Mariage d’Olympe). Et comme les Hollandais dans les tableaux de leurs peintres, ce même public se retrouvera, et surtout on le trouvera, volontiers sur la scène : les étrangers avec la Vie parisienne, les provinciaux avec la Cagnotte, les enrichis avec