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XII
LE THÉÂTRE
Épopée dramatique.
Si, dans tous les sens du mot poésie, et d’abord dans son sens étymologique de création, la génération de 1820 a été la plus poétique des générations littéraires françaises, celle de 1850 a été, depuis la retraite de Racine, la plus dramatique, soit celle qui s’est installée le plus fortement dans le théâtre, qui y a apporté le plus de création originale et durable. Nous ne dirons pas que cette supériorité s’explique par trois raisons, mais nous indiquerons trois conditions qui l’ont favorisée, trois révolutions auxquelles elle est liée.
L’Âge technique.
Une révolution dans la littérature. Avec le déclin du romantisme les genres poétiques se sont épuisés. En poésie et dans le roman, c’est l’époque du reflux, des ambitions circonscrites, précises, plus modestes, où la grande inspiration cède la place à la technique. D’où le Parnasse et le réalisme. Le Second Empire a été une époque moins de beauté que de métier. Il a eu le souci de la bonne ordonnance et des bons matériaux. Or il n’y a pas d’art qui soit plus que le théâtre lié à des techniques délicates, où l’auteur doive plus s’oublier lui-même, se soumettre plus complètement à son objet, soit ses personnages, ses acteurs et son public. La littérature du Second Empire produit du bon théâtre, du même fonds dont elle produit les Fleurs du Mal et Madame Bovary.
La civilisation du plaisir.
Une révolution dans les mœurs. C’est un lieu commun que de rapprocher la société du Second Empire de la société du