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XI
LES RÉACTIONNAIRES

La littérature de l’émigration réagissait contre la Révolution. Rien de plus normal. Mais cette réaction est devenue, dans la suite du XIXe siècle, la Réaction, au sens spirituel, politique, sibyllin de ce mot, qui est entendu dans le dernier village. Sous chacun des régimes successifs la réaction a eu un visage particulier. Elle a évolué, mais le long d’une même réalité, d’une même idée, des mêmes cadres. Une histoire ou un tableau de la réaction en France, ferait un curieux tableau des mœurs et des idées françaises au XIXe siècle. La moindre partie en serait la partie littéraire, qui seule cependant nous concerne ici.

Laissons de côté la littérature réactionnaire d’opinion, celle qui a donné de grands journalistes. Mais au-dessus d’elle il y a les grands écrivains réactionnaires, les Pères de la réaction, et, pour employer un mot qu’à sinon créé, du moins relevé Barbey d’Aurevilly, les Prophètes du Passé. C’est à Maistre, Bonald, Chateaubriand et Lamennais que s’applique ce mot dans le livre que Barbey a publié sur eux. Or ces quatre prophètes ont eu, à l’époque qui les a suivis, quatre successeurs en Barbey d’Aurevilly, Gobineau, Villiers de l’Isle-Adam et Léon Bloy.

Barbey d’Aurevilly.
Il avait 22 ans en 1830, et peu de styles ont une couleur romantique aussi éclatante que le sien. Pourtant il n’appartient pas au romantisme. Il a passé toute cette époque dans sa province normande, dans un milieu légitimiste, clérical, anachronique et pittoresque à souhait, d’où il a été lancé sur Paris, bizarre aérolithe,