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fant, un chevreuil de la forêt, poursuivi, entra un jour dans la ville et vint se réfugier dans la boutique de jouets que tenait Mme Husson (c’était le vrai nom de Champfleury) sa mère. Voilà un événement dans une vie d’enfant, et plus important que la Révolution de 1830. Le chevreuil entre de même dans les premières pages des Bourgeois. Il déclenche une série d’histoires bourgeoises, où sont prises les diverses classes de la société laonnaise, où défilent des originaux bien divertissants, et qui se terminent par une longue aventure d’adultère provincial, dont la concurrence inquiéta un moment Flaubert. Si les Bourgeois restent le plus amusant des romans de Champfleury (on y sent l’influence de Paul de Kock, qui fut sa principale lecture de collège) la Succession Le Camus, histoire d’un héritage, en est sans doute le mieux mené, le plus fort. Et dans Monsieur de Boisdhyver, roman de mœurs cléricales, Champfleury s’est haussé assez bien vers le niveau d’un grand sujet. Sainte-Beuve, qui ne l’a encouragé que discrètement, n’a goûté de lui que des bluettes plus timides : les Souffrances du Professeur Delteil et le Violon de Faïence. Quand les histoires de bourgeois de province qu’il connaissait furent épuisées, que toute sa famille, toute sa rue, toute sa chronique de Laon eurent été pressées jusqu’à la dernière goutte, Champfleury dut s’arrêter, porter ailleurs ses habitudes documentaires et ses inventaires du réel, occuper ses quinze dernières années à des ouvrages sur la caricature à travers l’histoire, la faïencerie française, et les chats.
Duranty.
Murger représente un réalisme sentimental, Champfleury un réalisme documentaire, Duranty un réalisme intelligent et doctrinal d’homme de lettres. Duranty sait écrire, alors que Champfleury a gardé le titre de champion de France pour les fautes de français durant tout le Second Empire. Duranty est doctrinaire, atrabilaire et secret : on le dit fils naturel de Mérimée et il semble en effet qu’il fasse transition entre Mérimée et de petits naturalistes comme Céard. Il ne manqua pas d’envie. Le Réalisme dont il avait donné le nom à une revue éphémère qu’il rédigea avec Champfleury, traita, sous la plume de Duranty, le réalisme de Flaubert comme une déformation bourgeoise aussi haïssable que celle que ce même réalisme subissait chez Buloz avec