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IX
LE RÉALISME
La Coupure de 1850.
La coupure du roman français, quand on passe de la génération de 1820 à celle de 1850 est une des mieux tranchées qui existe dans l’histoire littéraire. Les romanciers qui avaient grandi avec le siècle, et qui avaient vingt ans en 1820, poètes comme Hugo et Vigny, romanesques comme George Sand, fondateurs de mondes comme Balzac, minores comme Gozlan et Charles de Bernard, conteurs comme Dumas, feuilletonistes comme Sue, portent tous dans le roman une force hors pair d’imagination créatrice. Ils ont beau utiliser leurs souvenirs et leur milieu, leur invention n’en devient que plus libre et plus nourrie. Leur mot d’ordre est celui de leur chef, Balzac : la concurrence à l’état civil. Vers 1850 cette concurrence s’apaise. Devant l’état civil, les romanciers passent de la condition de concurrents à la condition d’employés. C’est le réalisme.
Les deux Réalismes.
Quand on l’a débarrassé des théories que tentèrent, avec modération d’ailleurs, Champfleury et Duranty d’une part, les Goncourt d’autre part, quand on examine librement les œuvres et les hommes, on constate que le réalisme a consisté surtout : 1° dans un fait, raconter des histoires réelles, c’est-à-dire des histoires qui sont arrivées à l’auteur, aux amis et aux amies de l’auteur ; 2° dans une carence, celle de l’imagination romanesque. L’un n’est d’ailleurs que le revers de l’autre. Le roman du XVIIIe siècle avait déjà passé par là avec l’abbé Prévost, et surtout avec Restif de la Bretonne, qui, par son origine, sa classe,