Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
teaubriand l’avait mis en liaison avec la poésie, Lamennais avec la Révolution, voilà des changements que Renan a fait passer dans l’atmosphère du XIXe siècle, et qui lui ont valu sous la troisième République toute une postérité.
Le Clerc de la Science.
Enfin, il a représenté avec Taine et Berthelot une génération qui a cru à la pleine puissance, à la pleine bienfaisance et au plein avenir de la Science. Sceptique et maître de scepticisme, mais d’un scepticisme plein, c’est-à-dire vivant, comme Montaigne (ses ancêtres maternels étaient Bordelais) il n’en a été que plus fidèlement attaché à la science positive, il a transporté sur elle une partie de la foi absolue des prêtres de Tréguier.
L’expérience d’une vie.
Cette importante jeunesse de Renan, ce départ d’un homme et d’une génération, nous les connaissons par toute une expérience qu’il a notée : ses lettres à ses parents, surtout à sa sœur, ses journaux de réflexions et de lectures, ses écrits intimes, parmi lesquels il y a jusqu’à un roman autobiographique, Patrice, l’énorme ouvrage dans lequel il jette, en 1848, sa jeune expérience et sa foi nouvelle, l’Avenir de la Science, tous restés manuscrits longtemps, et publiés seulement dans ses dernières années et après sa mort. Les Souvenirs d’enfance et de jeunesse complétés par les Feuilles détachées, ont organisé, sur le tard, en une œuvre littéraire admirable, chef-d’œuvre peut-être de la littérature de mémoires en France, l’image de cette vie dans son paysage général, dans son idée cléricale, dans une satisfaction un peu béate d’elle-même, et dans un nune dimittis qui n’est en somme que celui qui suit une carrière réussie, des vœux modestes, mais comblés, un passage heureux sur la terre entre des êtres dévoués et des relations d’Institut. Cette carrière de chanoine garde toutes les formes extérieures de la vie cléricale. Mais Renan a indiqué expressément que le noyau chrétien avait tout de même bien fondu chez lui quand il a écrit : « Le péché ? Mon Dieu, je crois que je le supprime ».
L’Histoire.
Renan, philologue assez sûr, peu aventureux, sans génie, avait une idée saine, délicate, nuancée, de la science, des instruments de précision qu’elle comporte. Or cette idée il l’a singulièrement outrepassée dans ses grandes