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thécaires et des érudits, des ingénieurs du Parnasse, avec une littérature du roman et de l’histoire plastiques et savants, doit être évoquée particulièrement à l’occasion de France. Entre Salammbô sur sa rive droite, Thaïs sur sa rive gauche, le fleuve historique du Parnasse coule comme le Rhin entre ses burgs.

Mais Vater Rhein se rapporterait plutôt à un autre nom. N’oublions pas que de 1848 à 1885, c’est-à-dire tant que fleurissent ces deux volées des Tétrarques et Épigones, Hugo est là, produit, et surtout publie. La survivance du romantisme accompagne indiscernablement la vie du Parnasse, et dans quelle mesure peut-on dire que tels et tels sont parnassiens ou romantiques ?

On ne songera pas cependant à ranger parmi les Parnassiens Déroulède, Richepin, Clovis Hugues, qui nés de 1846 à 1851 sont des Vingt ans en 1870 et qui, peut-être sous l’influence de la poésie patriotique d’alors, représenteront sous la Troisième République un idéalisme romantique, proclamateur, oratoire : national avec Déroulède, social avec Clovis Hugues. Quant à Richepin, qui a tenu une place plus importante et qui est presque aussi oublié, il fut surtout un normalien éloquent et instruit, un descendant des rhéteurs latins et des rhétoriqueurs français. Il a vraiment inventé quelque chose avec la Chanson des Gueux, où il se saisit de cette part de l’héritage romantique que l’on appelait le truculent ; il a été un poète passable de la vie sensuelle dans les Caresses, et il est tombé à plat quand il a voulu vêtir la défroque d’un Lucrèce de foire avec les Blasphèmes.

Si de tous ces demi-maîtres ou quarts de maître on voulait passer aux sous-disciples, on n’en finirait pas de nommer des poètes. Les Tétrarques et même les Épigones ont été des pères de familles nombreuses. Par l’attention qu’il a, apportée aux questions de métier, par la probité technique, qu’il a mise à l’honneur, le Parnasse a contribué à faire de la poésie, sinon un métier, du moins un exercice, attrayant et en somme facile. Quel écrivain, dans ces trente dernières années de la République, n’a pas débuté par un recueil de vers plus ou moins parnassiens ? Pendant trente ans, les Français ont fait des sonnets avec autant de facilité qu’autrefois les Italiens. Le petit lyrisme, comme au XVIIIe siècle la tragédie d’école, a coulé à pleins bords.