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Ménard et Bouilhet.
Louis Ménard a peu écrit en vers, et cent beaux vers des Rêveries d’un Païen mystique ne suffisent pas pour faire sortir de l’ombre de Leconte de Lisle cet Alexandrin original et ingénieux. Mais il ne faut pas oublier parmi ces Parnassiens de la grande époque un poète provincial probe, bien doué et bien en place, Louis Bouilhet. Sainte-Beuve voyait en lui un disciple de Musset : à tort, bien qu’il y ait quelque liaison entre la strophe épique de Melaenis et celle de Namouna. La vraie liaison (sans imitation) est d’un côté avec Leconte de Lisle, puisque Melaenis est un grand poème archéologique d’une forme robuste, et que Bouilhet dans les Fossiles se fit l’animalier parfois heureux de la faune antédiluvienne et le peintre des paysages de l’époque secondaire ; d’un autre côté avec Flaubert, dont il était le compatriote, l’ami et le conseiller, et dont la prose archéologique équilibre la poésie archéologique du Parnasse ; par là ce groupe d’art érudit, décoratif et solide fait bloc.
Théodore de Banville.
N’en croyons pas tellement éloigné Théodore de Banville, le génie aimable, éclatant et heureux de Théodore de Banville. Certes, si la littérature de l’Empire montre d’un côté un visage pessimiste, de l’autre un visage frivole, on peut tenir, dans une certaine mesure, Banville pour son délégué à quelque frivolité. Son clair optimisme forme un contraste parfait avec le pessimisme radical de Leconte de Lisle. Et, au contraire encore de celui-ci, le zèle pour la forme est associé chez lui à une facilité ovidienne. Né cinq ans après Leconte de Lisle, il débute dix ans avant lui en 1842, avec les Cariatides, un titre déjà parnassien. Il inventé avec les Odes funambulesques un esprit du lyrisme gratuit, de la rime en calembour, de l’allusion contemporaine qui fait de lui l’Offenbach de la poésie, et qui ne s’est éventé qu’après avoir engendré pendant deux générations toute une école.

Et lui aussi fait, comme un bon Tétrarque, ses fouilles dans le passé. Les Exilés sont des fragments épiques de grande allure, le Forgeron peut passer pour le seul mythe grec vivant, créé et créateur, qu’ait laissé le Parnasse, et par les Trente-six Ballades joyeuses à la manière de François Villon, et les Ron-