Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Europe, et Sorel, lui aussi grand professeur, s’efforça de la former, il occupa à l’École Libre des Sciences Politiques, alors fondée pour créer des esprits politiques et un état d’esprit politique, la chaire bientôt la plus brillante. Il y professa avant de les écrire tous les chapitres de ces huit volumes, qui sont des volumes de synthèse, ou plutôt des thèses : continuité de la politique nationale et internationale entre tous les régimes et dans tous les États, — justification de Napoléon qui avait reçu de la Révolution une France trop grande, et que cet héritage força au blocus continental et à sa conséquence, les guerres lointaines d’Espagne et de Russie. L’ouvrage est écrit avec beaucoup d’art et d’ingéniosité. L’influence de Sorel a été considérable sur toute la génération de diplomates entrés dans la carrière de 1885 à la grande guerre. Le style, séduisant, mêle aux formules de Tocqueville les élégances sévères des historiens doctrinaires. Des portraits factices et démodés alourdissent les premiers volumes. Dans l’ensemble c’est peut-être le chef-d’œuvre de la grande histoire académique et diplomatique. On le lit avec respect comme on parcourt, entre des Gobelins, une suite de salons d’ambassade.

Mais ce grand livre sur l’Europe n’a pas été tout à fait un grand livre européen. Les thèses systématiques de Sorel n’ont pas été suivies du tout en Angleterre et en Allemagne. L’histoire de Sorbonne les a combattues, en des ouvrages peu lus, dépourvus de l’éclat littéraire et académique, mais peut-être plus solides. Les disciples ordinaires de Sorel ont été des historiens diplomates, imbus de la tradition du Quai, comme Albert Vandal, ou des techniciens de la tradition, comme Jacques Bainville. Il a vieilli sans être remplacé.

La même génération d’historiens académiques a donné deux œuvres sérieuses de grande histoire pour grand public : l’Histoire dé la Monarchie de Juillet, de Thureau-Darigin, qui parut de 1884 à 1892, et l’Histoire du Second Empire très fortement écrite par Pierre de La Gorce. On trouvait à la même époque une information abondante, mais peu contrôlée, dans le Napoléon et sa famille, colonne Vendôme hagiographique de Frédéric Masson, et des travaux plus sûrs, mais animés du même feu bonapartiste, dans le 1814 et le 1815, d’Henry Houssaye.