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d’hui à nous, bizarres ou naïves. Mais ce maquis lui est moins familier que celui de son île, et en ces matières subtiles, s’il est le maître, il n’est pas un maître.

On attachera peu d’importance aux écrits historiques, qu’il a dictés à Sainte-Hélène expressément pour la postérité. Leur authenticité intégrale a d’ailleurs pu être discutée. C’est quand il raconte à distance les événements de son temps et de son règne qu’il est le moins croyable. Ce qu’il dit de ses intentions et de ses projets est fabriqué à Sainte-Hélène, et d’ordinaire démenti par les documents contemporains. Ses plaidoyers sont des plaidoyers que le jugement de l’histoire ne confirme pas très souvent. Il paraît d’ailleurs avoir toujours appelé vérité l’affirmation qui pouvait le mieux se convertir en action. Par imagination, par nécessité, par position de faiseur d’opinion, de faiseur de vérité, il a dû mentir beaucoup : c’est un pragmatiste, et il faut le lire comme tel.

Avec cela le Mémorial de Sainte-Hélène, ou plutôt les trois ouvrages de Las Cases, Montholon et Gourgaud, sont un des livres du siècle qui ont le plus agi sur les imaginations. D’abord comme récit. Et ensuite et surtout par tant de propos marqués de la griffe du lion. Bien des pages sont d’une beauté inépuisable. Telle interpellation à Chateaubriand, venue de Sainte-Hélène, vaut les plus belles pages des Mémoires d’ontre-tombe.

Si la fortune politique de Bonaparte ne s’était pas fait jour, s’il avait couru une carrière d’homme de lettres, il est invraisemblable que de cette carrière ait pu sortir une œuvre littéraire égale à celle que nous a valu sa fortune césarienne.